Il pleut des cendres dans les méandres de leurs esprits. Les nuages assombrissent le firmament exquis. Goutte de poussière emplie de haine, qui se noie dans leurs blasphèmes. Nous sommes tous épris du ciel. Contempler les arcs célestes est un loisir dont on ne peut se lasser et dont on ne sera probablement jamais harassé. Il semble si serein, à l’abri, préservé par cette hauteur infinie. Il est si présent sans jamais l’être. Condamné à vie à ne jamais se soumettre. Le ciel est baignée d’admiration, aspirant à un luxe empli de déraison. Explosons nos pensées en mille constellations boréales. Nos hurlements déformeront les étoiles. Et ces étoiles, ce sont nos personnages. Stars maudites d’un système dégénérant, stars incestueuses maculées de sang.
David Cronenberg a présenté cinq films à Cannes, le sulfureux Crash en 1996 qui sera un immense scandale récompensé par prix spécial du président du Jury, Francis Coppola. Les murmures cannois chuchotent encore qu’il aurait dû remporter la palme d’or, mais que, contrairement aux autres membres du jury, Coppola s’y opposa. En 2002, Cronenberg présente Spider, thriller psychanalytique sur fond de frénésie. En 2005, il revient avec History Of Violence, peinture tragique de la famille américaine et en 2012, Cosmopolis sur lequel les avis seront très mitigés. Dimanche soir, lors du 67e Festival de Cannes, une première projection de Mas to the stars a eu lieu, spécifiquement réservée aux critiques dont les premiers tweets furent relativement enjoués, allègres sur cette satire hollywoodienne.
Durant les cinq premières minutes, les mots twitter, stars, Hollywood, limousine et Amazon sont prononcés. Même le cadrage sur la télévision laisse percevoir la marque Samsung, nous sommes donc instinctivement plongés dans cette réalité illusoire, tétant la superficialité à son sein d’origine. Nous sommes à Hollywood, ville des rêves où se télescopent des étoiles, créant un ciel illuminé de célébrités. Un ciel qui saigne comme une croûte qu’on arrache. Un ciel qui déverse ses tripes, répandant son hémoglobine.
Agatha (Mia Wasikowska) jeune femme torturée et schizophrène, revient afin de retrouver sa famille. Son frère Benjie (évoquant Macaulay Culkin et sa spirale d’autodestruction), tout juste âgé de treize ans génère déjà « 750 millions de dollars dans le monde » grâce à la comédie familiale dans laquelle il joue. Son père, auteur à succès et coach des célébrités, adopte des pratiques amorales et malsaines. Sa cliente étant la belle Havana Segrand (interprétation divine de Julianne Moore qui mérite amplement le prix d’interprétation féminine !), actrice en déclin surplombée par son égo démesuré et l’image de sa mère, grande icône féminine, qu’elle rêve un jour d’égaler. Mais sous cette surface dorée se dissimule une noirceur qui risque à tout moment d’exploser. Havana et Benjie, les plus exposés au monde de la célébrité sont hantés par des fantômes qui se plaisent à les torturer, à les déshumaniser peu à peu.
L’écho de leurs rires se fracasse contre les étoiles. Ils trouvent leur repos dans les ténèbres. Reprennent leur souffle dans leurs propres contradictions. Et la vie vibre, s’exhibe, pervibre. Leurs détresses les font suffoquer. Ils veulent avoir le monde à leurs pieds, ils désirent égaler le ciel. Mais ouvrez les yeux, osez affronter Eurydice qui ne cesse de vous faire reculer. Posez vos pieds dans l’herbe. C’est délicat, c’est mieux que la vodka. Mais vos esprits bouillonnent, ils s’écument. Effervescence déplaisante. Haïssable.
Cronenberg peint un portrait dévastateur du système Hollywoodien. Nuisible, lugubre, corrupteur. Les valeurs s’effritent, les principes s’atrophient, la vertu se lacère. La seule qui réussit à en échapper pour finalement y revenir c’est Agatha, la peau à jamais flétrie par des stigmates. Brûlure qu’elle s’inflige elle-même, brûlure qui tuera également la mère de Havana. Hollywood ne serait que des flammes léchant le visage de ses habitants, les désincarnant de leurs âmes. Ce ne sont plus que des corps agissant par pulsions, rejetant leurs propres apparences par des vagues de vomi et d’excréments. Des fourmis qui s’arrachent leurs artères. La mort est partout, elle guette, elle coule, elle se répand, elle ment. Et tandis que les célébrités se demandent quelles sorte de créatures de l’enfer elles sont devenues, elles se vident de leurs matières, leurs chairs deviennent élastiques, ce ne sont plus que des pantins prêts à être immolés. Ce ne sont que des morceaux de chair tremblants de folie au milieu des limbes. Nous retrouvons la thématique principale du réalisateur canadien, à savoir ce trop plein de chair dénuée d’âme, où la place du salut, du remord ou de la rédemption n’existe pas. On ressent particulièrement l’influence de Bacon, peintre des chairs mutilés, dans son œuvre. Benjie est drogué jusqu’aux racines, Havana constipée jusqu’au supplice. L’arrogance, la prétention, la supériorité. Ils sont fades, acres. La seule chose qu’on peut souhaiter pour eux, c’est que l’immensité du néant sera douce.
Nous retrouvons Bruce Wagner au scénario, écrivain ayant déjà écrit une satire sur Los Angeles. Ses lignes sont subtiles, sans débordements, il va à l’essentiel et les répliques parfois hilarantes laissent souvent la place à une grande tristesse. Il tourne en dérision les personnages tout en les rendant bouleversants. Ainsi lorsque Havana apprend qu’elle peut reprendre le rôle de sa mère parce que l’actrice principale vient de perdre son fils dans un tragique accident de piscine, elle se met à chanter. Nous esquissons alors quelques rires, mais très vite, l’atrocité de la scène nous rattrape, nous dérange. Hollywood est un monde où l’intérêt, l’argent et l’image règnent en maître. Maps to the stars est un pamphlet.
Cronenberg fait appel à son chef opérateur attitré, Peter Suschitzky, présent pour tous ses films, depuis Faux Semblants en 1988. Mis à part quelques plans en extérieur tournés à Los Angeles (tout au plus cinq jours de tournage), l’essentiel des séquences réalisées en appartement s’est fait à Toronto. Une image très froide, au blanc dominant, nous faisant rappeler à une clinique médicale. Ainsi, Hollywood pourrait être perçue comme un immense hôpital psychiatrique où les malades se côtoient quotidiennement, s’entraînant fatalement dans leurs propres folies.
Ces étoiles, ces célébrités, elles sont toutes éperdument seules. Et cela les éventre, les abolit, les éprend. Le montage sépare continuellement les acteurs lors des dialogues, ce qui est une première dans un film de Cronenberg. La séquence la plus troublée par ce fait est celle où Benjie, sa mère, son producteur et l’équipe cinématographique projettent la réalisation d’un second long-métrage. Le montage découpe les acteurs, les enferme dans une bulle de solitude, nous offrant alors une superposition de portraits, sans jamais aucune silhouette en amorce. La fin de la séquence s’achève dans un râle sonore du vomissement de Benjie, résultat de cette solitude accablante. Les personnages peinent à trouver un équilibre entre ce qu’ils sont, ce qu’on veut qu’ils soient et ce qu’ils croient être. « C’est toujours des recherches en quelque sorte » expliquera Havana à Robert Pattinson avant de lui demander de la sodomiser. Cela image parfaitement ce labyrinthe tortueux dans lequel les célébrités de Hollywood sont enfermées, ankylosées. Quand le rôle devient la vie, quand l’imaginaire empiète sur le réel, on oublie la notion de conséquences. Ces célébrités sont également privées de liberté, le fameux poème de Paul Eluard « Liberté » qui revient par bribes en voix-off en est le parfait exemple. Aspirant à une plénitude, un hymne à la vie. Ce poème représente tout ce que les personnages ont égaré face à cette vampirisation du succès. Ils ont perdu leur libre arbitre et si Eluard rédige ce poème en 1942 durant la seconde guerre mondiale, nos protagonistes sont également en plein combat. Ils se baignent dans du sang. Les flammes de Hollywood les enlacent. Et seul l’eau peut les éteindre. Eau qui achèvera d’ailleurs les souffrances de la mère de Benjie lorsque celle-ci, en feu, s’affaissera dans la piscine.
L’eau et le feu sont des thématiques récurrentes dans Maps to the stars. Peut-être parce qu’ils sont deux éléments opposés, mais complémentaires, traduisant la dualité propre aux personnages. Mais le sujet principal du film est sans aucun doute l’inceste au sein de Hollywood. Au sens propre comme au figuré. Hollywood est devenue incestueuse, car tous les films deviennent des copies de copies. Fils dégénérés des grands classiques cinématographiques. Le film dans lequel doit jouer Havana est d’ailleurs un remake d’un film dans lequel avait joué sa mère. Mère qui abusait d’elle et qui la hante au travers de visions récurrentes. Ainsi, Cronenberg nous dévoile un inceste entre les films et l’industrie cinématographique, mais également un inceste entre les corps. C’est la dégénérescence du système et de la chair. Les étoiles ne se reproduisent qu’entre elles. Elles sont toutes sœurs ou frères. On se rend compte d’ailleurs à la fin que le gourou et sa femme sont frère et sœur, ayant donné naissance à deux atrocités incestueuses : Benjie, enfant drogué arrogant qui devient un meurtrier et Agatha, pyromane psychopathe. Ils se marieront avant de se suicider sur des marches. Les marches de Cannes ? Celles de leur apogée qui signaient déjà leur déclin. Ils resteront à jamais deux étoiles gravées dans le sol dans les rues Hollywood. Deux étoiles qui ont déjà explosé, mais qui continuent de scintiller.
Note: