Adaptation
Lady Chatterley, le roman de DH Lawrence, cultive toujours dans l´inconscient collectif l’image d´une œuvre erotico-kitsch ayant fait les beaux jours du cinéma « rose » des années 70 et 80. Qu´on se rassure, la réalisatrice de L´âge des possibles n´a pas attendu dix ans pour revenir avec une adaptation du roman qui ne se concentrerait que sur l’aspect strictement sexuel, façon « Harlequin », qu´il véhicule depuis plus de quatre-vingts ans, quand bien même on n´en aurait pas lu une ligne. Pascale Ferran porte le propos au-delà de l´argument transgressif et scandaleux pour nous offrir un film immense, d’une grande intelligence formelle et thématique, qui tutoie à la fois Truffaut, Renoir et Lean, pas moins. Pascale Ferran ne trahit cependant jamais l’inspiration littéraire de son œuvre. La construction, sous forme de chapitre, avec ses panneaux qui viennent ponctuer la narration et la voix-off de la réalisatrice elle-même, indiquent sans nul doute le respect qu’elle porte au roman de Lawrence. Elle convoque aussi habilement l’influence du conte dans la découverte par Constance de cet espace qu’est la forêt, décor naturel fréquemment utilisé dans les histoires pour enfants, qui figure à la fois un lieu magique où l’individu est confronté aux forces de la nature et un espace d’initiation rituelle, de rencontre avec l’autre ou avec soi-même. Dans certains plans, le personnage de Constance, dans son habit rouge, envahi par les arbres et les hautes herbes, évoque irrésistiblement Le petit chaperon rouge, perdu au milieu des éléments, découvrant un territoire inconnu.
Nature
Le rôle de la nature est absolument déterminant dans le film . Au-delà de son aspect fantasmagorique, c’est un personnage du film à part entière. Elle y est envahissante, omniprésente. Pascale Ferran compose de nombreux plans de détails sur la végétation et elle capte aussi les sons environnants (le vent dans les arbres, le bruit des oiseaux , l’eau qui coule) pour donner davantage de présence à la nature. Elle décrit également l’alternance des saisons qui figurent l’état mental des personnages. Au début du film, la vie de Constance est décrite sous la forme de vignettes domestiques très courtes sur lesquelles passent les saisons. Le voile de neige blanc qui recouvre la propriété est ainsi la projection de son âme, à cet instant. Mais la nature est aussi le déclencheur des événements qui surviennent dans le récit : quand Constance entre dans la forêt sur le conseil de la gouvernante pour y cueillir des fleurs, sa première étreinte avec le garde chasse a lieu alors qu ’elle s’émerveille face aux petits oisillons tout juste sortis de l’œuf. La première fois où elle et son amant « jouissent ensemble » est celle où il font l’amour dans la nature et non plus dans la cabane. Constance adopte une attitude très naïve par rapport à son environnement, elle retombe presque en enfance face à la beauté naturelle. La nature en la circonstance, brise les liens sociaux entre Constance et le garde chasse. Les deux amants évoluent ainsi dans un monde en-dehors de toute hiérarchie, un Eden retrouvé qui ressurgit même sur leurs propres corps. Ainsi, dans une très belle séquence, ils décorent leurs corps de branches et de fleurs et les disposent sur leur ventre, leurs hanches, leurs têtes, leurs sexes. C’est à une véritable célébration de la nature qu’ils s’adonnent.
Corps
Si Lady Chatterley est un film qui exalte la nature, le végétal, c’est aussi un film où les corps sont importants et où le sexe est central.
Dès la première scène, lors d’une réception, le mari de Constance, handicapé de tout le bas du corps, évoque avec ses anciens camarades des souvenirs de guerre. L’un d’eux parle d’un soldat dont les deux pieds ont été sectionnés par une bombe. L’homme qui aurait pu être soigné s’est laissé mourir alors qu’aucun organe vital n’était touché. Constance qui écoute la conversation est un personnage dont le cœur est touché par l’ennui et qui se laisse aller. Le premier avertissement vient du médecin qui lui prédit un cancer si elle ne se reprend pas rapidement. Le deuxième choc pour Constance est la vue du corps du garde de chasse, à son insu, lorsqu’elle va lui transmettre un message pour un dîner. Elle est bouleversée par ce spectacle, ne contrôle plus sa respiration. Cela lui fait l’effet d’un électrochoc de découvrir ce dos massif, ce torse imposant alors que le seul corps masculin qu’elle connaît est celui de son mari handicapé. Le soir même, elle va se regarder nue dans le miroir de sa chambre pour évaluer son propre corps, comme une redécouverte et penser, sans doute, qu’il pourrait revivre à nouveau.
Le scènes d’amour avec le garde chasse obéiront à une stricte logique de la découverte de l’autre et sont à ce titre signifiantes du chemin qu’ils parcourent pour s’ouvrir aux sentiments. Aux deux premières scènes dans la cabane, scènes où le garde-chasse impose sa carrure et son poids à Constance, succède une troisième où les deux font l’amour dans la nature. Constance prend cette fois l’initiative et c’est à cette occasion qu’ils prennent du plaisir ensemble. Pascale Ferran filme ces scènes amoureuses avec beaucoup de sensualité, mais sans les alourdir d’une charge érotique exagérée. La nudité n’intervient d’ailleurs qu’au bout de deux heures de film. Pascale Ferran, qui filmait surtout jusque-là en plans fixes, se permet alors une séquence extatique où les deux amants , nus sous la pluie, courent dans la foret dans un long travelling latéral où la joie et la liberté sont exacerbées. Pour la première fois, le sens du mouvement de la caméra semble indiquer que Constance et Parkin ont un avenir ensemble.
L’âge des possibles
Le précédent film de Pascale Ferran, L’âge des possibles, était un film choral et générationnel interprété par les élèves de l’Ecole de Théâtre de Strasbourg où de jeunes adultes, arrivés à un certain stade de leur vie, devaient faire des choix dans leur existence. Dans Lady Chatterley, Constance et Parkin sont aussi à un carrefour où ils ont l’opportunité de changer le cours de leur vie. Elle est mariée à un aristocrate propriétaire d’une mine. Lui a choisi de vivre reclus dans une cabane au milieu de la foret pour échapper au monde, à la mine et aux codes sociaux. Leur relation va les faire sortir du carcan dans lequel ils sont prisonniers pour envisager peut-être ensemble un avenir commun. Au début pourtant, leurs rencontres sont chaque fois des redécouvertes où chacun doit apprivoiser l’autre. Leur relation est en construction permanente, en équilibre précaire dans lequel un rien pourrait faire tomber cet instable édifice. Puis Constance commence à acquérir une conscience politique, elle tient tête à son mari sur la question de l’exploitation des ouvriers et Parkin s’ouvre au monde, à la possibilité de s’installer avec Constance dans une ferme où il pourraient vivre tous les deux. D’ « homme des bois », il devient un personnage qui laisse entrevoir une grande sensibilité, mais reste strict sur la vision qu’il se fait de la relation homme-femme où celle-ci ne pourrait pas subvenir aux besoins du couple. Le « oui » qu’il répond – et qui conclut le film – à la proposition de vie que lui soumet Constance est finalement le fruit d’un long cheminement somme toute réciproque et une belle conclusion optimiste que nous propose Pascale Ferran.
Lady Chatterley, disponible en double dvd (MK2 Vidéo)
Note: