Après J.Edgar, Clint Eastwood enchaîne avec un nouveau biopic, consacré à Frankie Valli et à son groupe, les Four Seasons. Il délaisse donc un temps la grande histoire et son exploration des maux qui gangrènent l’Amérique. Œuvres parfois ambiguës, toujours passionnantes.
Cette adaptation d’un musical de Broadway s’engage sur un terrain plus léger. Ça n’est pourtant pas qu’un simple panégyrique, bénéficiant de la caution de Frankie Valli comme producteur exécutif. En bon Fordien, Eastwood est du genre à imprimer la légende, mais pas sans l’avoir au préalable minutieusement détricotée. Jersey Boys vient donc s’inscrire aux côtés de Mémoires de nos pères et de J.Edgar, pour ne citer qu’eux, dans une entreprise de démystification de l’Amérique. Ici, pas de vitriol à proprement parler, personne ne ressort vraiment sali de l’affaire et les membres du groupe taisent à la fin leurs anciennes rancunes pour se retrouver, ridés et grisonnants, sur la scène du Rock and Roll Hall of Fame. Mais nous sommes bel et bien dans un film d’Eastwood.
Les Four Seasons connurent la gloire pour leurs tubes pop-rock dans les années 60. A l’origine, il y avait une bande de garçons du New Jersey, voyous ou petites frappes, et un gosse à la voix exceptionnelle, Frankie Valli. Encouragé par la tête brûlée Tommy DeVito, il se lance et devient le chanteur – et la star – du groupe. Avec leurs jeux sur leur dégaine, leurs mimiques, leur accent italo-américain travaillé, les garçons du Jersey sont comme en train d’exécuter une éternelle chorégraphie, semblant promis au passage de la rue à la scène.
Tout semble aller comme sur des roulettes. C’est du moins ce que montre la première partie du film. Eastwood joue la carte nostalgique, quitte à, de façon un peu balourde, poser un filtre sépia sur l’image, manière décidément bien commode dans le cinéma américain, de bien nous signifier que nous sommes dans le passé. Façon, trop souvent, d’oublier que ce passé a été un jour un présent. Façon, aussi, de le reléguer trop facilement au rang de carte postale rétro. Mais les habitués d’Eastwood savent que sa démarche est plus complexe. Comme à son habitude, il gratte la couche du vernis du livre d’histoire pour dévoiler une réalité plus ambivalente.
Déjà, dans J.Edgar, une séquence de flash-back mettait en lumière la vérité sur les exploits du créateur du FBI. Alors que le reste du film le montrait agissant en héros, le personnage de Clyde Tolson, compagnon de Hoover, le seul homme à l’avoir vraiment connu et vraiment aimé, exposait au grand jour le caractère veule et lâche du personnage.
Similairement, dans Jersey Boys, alors que le groupe est au sommet de sa gloire mais que les ennuis s’annoncent, Eastwood opère de façon remarquablement intelligente : les Four Seasons viennent de monter sur scène, entonnant l’un de leur tube. Un long flash-back vient interrompre la séquence et révéler toutes les tensions, les amertumes, les crasses et les problèmes cumulés pendant l’année écoulée. Puis la séquence de chant de reprendre, mais le numéro comme percé à jour.
De la même manière, chaque personnage est amené à s’adresser directement à la caméra et à prendre en charge une part du récit, amenant sur le tapis sa vérité.
Une scène surprend dans le film et vient comme révéler toute l’ironie latente dans la nostalgie affectée du film. Un personnage se trouve à un moment devant sa télé en train de regarder un épisode de la série Rawhide où Eastwood faisait ses premières armes. Le temps d’un plan court, mais suffisant pour qu’il soit reconnu, un tout jeune Clint apparaît à l’écran. Avant qu’un bouton de télécommande ne viennent anéantir son image. Clin d’œil du cinéaste, peut-être pour dire que tout ça, c’est du passé, promis à l’oubli.
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