Il ne faut pas se retenir de le dire, Louis CK est important. Il ne s’agit pas d’empiler les dizaines de superlatifs qui nous viennent immédiatement à l’esprit, mais ils paradent en permanence quand défilent les 20 minutes de chaque épisode de Louie, série indispensable, dans le haut du panier de la télévision de ces 10 dernières années.
Ce que la télévision apporte à l’homme peut être plus encore que le cinéma, c’est un réconfort qui tient autant d’une identification avec des personnages sujets aux même problèmes et questionnements que nous, que d’une livraison crue de la réalité, passée par tel ou tel filtre. La distance froide des informations et leurs catastrophes à la chaine (par ailleurs montrée de manière surréaliste dans la série), la mise en scène tape à l’oeil des enquêtes sur sujets « chocs », le fascinant abrutissement face à l’outrance de la télé réalité… Tout cela participe de ce que la télévision peut avoir d’hypnotique. Allumez-la en pleine nuit, elle marche. Quittez la pièce et laissez-la allumée, elle marche, elle continue de parler. Cette errance rétro éclairée était ce qui faisait de Louie un objet télévisuel et non louchant vers le cinéma.
Ce terrain là est progressivement laissé de côté dans cette saison, le récit se stabilisant petit à petit, et les références à des films tels que Don’t Look Now (Nicolas Roeg, 1973) ou le cinéma de Cassavetes amènent la série vers autre chose, vers une trame plus installée, toujours maintenue par son auteur qui garde tout de même en tête que le succès de son entreprise vient du sursaut et de l’inattendu.
Louis CK semble également prendre en compte l’ultra réactivité du public via Tweeter et Facebook, en multipliant les séquences inconfortables, et virages scénaristiques. Si le public semble recevoir cette dernière saison avec plus d’interrogations, c’est qu’elle creuse encore plus loin dans les paradoxes et violences qui constituent les relations entre les êtres, et amène chacun à juger les personnages à l’aulne de leurs propres vies. Louie a réussi, tout en restant un objet moderniste et souvent irréel – « décalé » – à se rapprocher au plus proche de la vie, peu importe laquelle, à faire basculer ses incartades dans l’absurde vers des noyaux de mésententes indomptables entre des personnages qui cherchent à s’accorder, pas toujours réciproquement, pour le meilleur et pour le pire.
Dans ce petit cadre qu’est l’écran de télévision – ou l’écran d’ordinateur si l’on considère que l’objet télévision n’est plus le support dominant du visionnage des séries – Louis CK s’est fait l’une des places les plus singulières de la télévision américaine (sous-entendu de tout le paysage cinématographique, télévisuel, de tout ce qui à cette époque, partout, concerne les récits racontés en images). Sa série ne suit aucune bible, les épisodes épousent une continuité pour mieux en sortir de temps à autre. La liberté de ton est fondamentale et elle va de paire avec la liberté formelle. On a vu des épisodes n’être qu’une seule longue situation étirée jusqu’au malaise, d’autres coupés en deux par des plans séquences qui ne s’arrêtent jamais, allant toujours plus loin dans l’expression de réalités sociétales, des problèmes du personnage comme ceux des autres.
Cette dernière saison se pare d’une mélancolie jusque là assez inédite dans la série, notamment dans l’ensemble d’épisodes autour d’Amia, nièce d’une vielle voisine Ukrainienne merveilleusement interprétée par Ellen Burstyn. Amia ne parle pas anglais, elle partira après avoir fait lire sa lettre d’adieu par un serveur au restaurant, Louie répondra juste « I feel the same ». Pour la première fois le personnage n’aura pas eu besoin de longues tentatives de verbalisation de ses problèmes pour qu’existe l’équilibre dans l’entente et la compréhension, et alors Amia peut partir pour qu’advienne la tristesse et la mélancolie, et pour que Pamela revienne et que la trivialisation du pathos reprenne ses droits. D’un côté l’histoire avec Amia (« Elevator ») montre un personnage physiquement incapable de lui communiquer ses sentiments, et de l’autre Pamela refuse consciemment de le faire.
Cette dernière saison met un peu de côté les questionnements « la comédie et le monde », « le rire et les choses », que les saisons précédentes proposaient explicitement. Le désir de subjectivité du personnage/auteur prend le pas sur le personnage balloté par un monde incompréhensible des saisons précédentes. Le monde est toujours incompréhensible, comme la langue parlée par Amia pourtant au centre de 6 magnifiques épisodes, les actes et paroles gagnent en épaisseur ce que peut-être la série perd en drôlerie et absurdité.
Dans l’épisode 3, CK fait s’exprimer l’actrice Sarah Baker dans un monologue sur sa vie de femme petite et un peu grosse, « Yeah it sucks to be a fat girl », on sent poindre les accusations, Louie courait après une mannequin dans l’épisode précédent et il semble s’excuser de son attirance pour ce stéréotype dans l’épisode suivant. Pourtant il n’y a qu’ici, dans cette série, qu’une telle crudité verbale nous est donnée à entendre. Peu de séries et films peuvent se vanter de faire peser autant les mots, de déconstruire les stéréotypes avec autant de finesse – également de maladresse, tous les épisodes ne sont pas au même niveau, et le personnage jamais vraiment sûr de lui est parfois difficilement dissociable de l’auteur interprète se lançant dans des directions contradictoires qui constituent aussi la richesse de la série, autant d’un point de vue esthétique et narratif, que moral, sur le portrait d’un homme montré tantôt comme faible, héroïque, dangereux, déprimé…
La série a toujours fonctionné sur le principe de la rencontre, la rencontre entre Louie et un homme, ou Louie et une femme la plupart du temps. Ces nombreuses rencontres dispersées dans les trois premières saisons menaient parfois à l’étrangeté, au malaise, et se terminaient souvent à la fin de l’épisode dans lequel elles avaient commencées. Cette quatrième saison s’organise en segments – dont un long flash-back white-trash mémorable dans son adolescence en prise avec la drogue – et chaque segment se déroule jusqu’à atteindre une fin sinon une finalité, un point concluant une histoire plus structurée et développée dans le temps que les simples rencontres éphémères auxquelles il nous avait habitué. Cette longue marche vers la réciprocité entre Louie et Pamela se conclut dangereusement sur une fin potentielle de la série. Il se montre nu, prenant le contrepied d’une représentation hétéronormative de la séduction homme/femme, en laissant le corps confiant de l’actrice couvert, et en exposant difficilement le sien, pour mieux en rire ensuite. Le « je t’aime » ne sera pas rendu, mais une sérénité atteinte, qui brouille l’idée que l’on tente de se faire d’une éventuelle cinquième saison.
Note: