Après le transcendant et bouleversant Melancholia, Lars Von Trier nous livre une œuvre expérimentale, violente et dérangée qu’il fragmente en deux parties. Nymphomaniac – Volumes I et volume II sont deux longs-métrages axés principalement sur la sexualité. Mais ici, point de volupté ou de draps en velours, le propos demeure analytique, froid, clinique. Le réalisateur emprunte alors les traits d’un scientifique observant le sexe comme un sujet d’étude, sans passion, sans exaltation, sans affect. Ceux qui espéraient – comme le sous-entendaient les nombreuses affiches de publicité controversées – découvrir un grand film érotique seront vite abandonnés, le plaisir et la sensualité s’évaporant au profit d’une autopsie psychanalytique.
L’histoire met en scène Joe (Charlotte Gainsbourg), femme de cinquante ans s’auto-diagnostiquant nymphomane. Elle est recueillie, alors qu’elle gisait sur le bitume d’une ruelle déserte par une froide nuit d’hiver, par Seligman, vieil ermite reclus dans son sombre appartement. S’en suit une discussion qui sera le squelette narratif du film, mêlant le témoignage d’une vie chaotique et des divagations philosophiques. La flagrante différence qui sépare les deux protagonistes (l’empirique nymphomane Joe et l’érudit puceau Seligman), amènera à entrecroiser flashbacks, images métaphoriques et comparaisons décalées. La vie de l’héroïne sera ainsi scindée en huit chapitres successifs et analysée sous deux angles, deux points de vue opposés créant un gouffre entre les deux êtres. Sera-t-il alors possible d’édifier un pont afin de traverser ce vide si vertigineux, cette béance qui les dissocie ?
La démarche proposée par Von Trier est très originale, alternant des séquences hallucinantes d’audace (on pense à la superposition de la théorie des nombres chez Bach avec la vie sexuelle de Joe) et des visions poétiques dont seul le réalisateur de Breaking The Waves a le secret, comme par exemple une voiture qui s’enflamme au milieu de la nuit ou un arbre étrange menaçant de s’effondrer au bord d’un précipice. Le film peut être perçu comme un condensé de toutes les obsessions de son créateur, qu’il s’agisse du meilleur et hélas également du pire. On reprochera à ce diptyque son inégalité, car aux belles scènes précitées viennent se greffer des séquences de pure violence gratuite où la morbidité glaciale apparaît davantage comme un élément choc pour susciter du spectacle que pour nourrir le véritable propos du long-métrage. Propos qui s’avérera d’ailleurs de plus en plus douteux dans le second volume, entâchant les belles promesses du premier. C’est peut être ce qui fait sa particularité, mais Nymphomaniac est un véritable réceptacle de contradictions, Von Trier semble davantage expérimenter qu’affirmer, lui donnant sa forme hybride et monstrueuse. Le final prolonge cet effet, le réalisateur est-il donc tant dégoûté de l’humanité ? Il restera au moins l’interprétation habitée des acteurs et en particulier de l’incroyable Charlotte Gainsbourg qui signe peut être ici sa meilleure prestation.
Nymphomaniac – Volumes 1 et 2 – Disponible en dvd et blu-ray (Potemkine)
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