« J’adore ce festival parce qu’il te fait connaître des sensations réparties en toi que tu ne soupçonnais même pas ». L’auteur de ces propos n’est autre qu’Alejandro Jodorowsky s’exprimant à propos de l’Étrange Festival qui fête cette année ses vingt ans d’existence. À cette occasion, un documentaire suit le réalisateur iconoclaste de La montagne sacrée dans une déambulation parisienne pendant laquelle il visite ses lieux fétiches, nous faisant découvrir son Paris à lui. Ce parcours débute à Notre Dame, lieu sacré qui recèle aussi tout un réseau de signes liés à l’astrologie et au Tarot. Jodorowsky s’arrête sur un détail d’une frise de la façade où est sculptée une montgolfière, signe selon lui que les bâtisseurs de ce monument ont vu des OVNI dans le ciel. Plus tard, il visite le Musée Fragonard de l’École Vétérinaire qui lui inspire la réflexion que le « cinéma arrête la rivière du temps », puis s’interroge sur le but de l’art devant une représentation de La Boétie au musée Gustave Moreau. « Si Fragonard ouvre le corps, dit-il, Moreau traverse la forme pour arriver au contenu sublime de l’âme . Et l’âme c’est la Boétie ». Rieur, il revient sur une anecdote de La Montagne Sacrée, quand il tombe sur la représentation d’un Bouddha donnant une fessée, au Musée des Arts Érotiques. « Je voulais donner un rôle à George Harrisson (oui, celui des Beatles – NDLR) mais il a refusé de montrer son anus. C’est pourtant sacré de montrer ses fesses, tout le monde devrait le faire, à commencer par les politiques, pour prouver aussi que ce sont des gens simples, qui nourrissent la terre comme tout le monde. On devrait construire un immense temple de matière fécale avec au sommet un prêtre déguisé en mouche », s’exclame-t-il, hilare. À la fois exubérant, drôle, poétique et érudit, Jodorowsky sait aussi se montrer émouvant lorsqu’il visite, au cimetière de Montparnasse, la tombe de son ami Roland Topor, dont la dalle est la matrice de son dernier dessin, représentant un homme qui marche avec une valise ouverte d’où tombent tout ses biens. Belle image du dernier voyage d’un homme.
Parallèlement à cette visite guidée, des réalisateurs, journalistes et écrivains familiers de l’Étrange Festival nous expliquent leur rapport à cette manifestation et au cinéma dit de « l’étrange ». Jan Kounen, Marc Caro, Agnès b., Jean-Pierre Jeunet, Gaspar Noé, Albert Dupontel et Guillermo del Toro sont ainsi tous d’accord pour convenir que la particularité de ce cinéma-là est « l’inattendu ». « Est ce que j’avais envie de voir ça, s’interroge Jean-Pierre Dionnet ? Non, pas forcément. Est-ce que ça m’a plu ? Oui finalement, car ça me ramène à l’essentiel : être bouleversé face à l’inconnu ». La question de la liberté est aussi soulevée, tout comme le rapport à l’enfance et au plaisir de se faire peur, le réalisateur de Mimic faisant le lien avec les contes de fées et à Hansel et Gretel en particulier. Tous prennent un plaisir évident à parler d’un genre qui leur est cher, chacun citant ses références personnelles – Buster Keaton et Benny’s Video pour Agnès b., Eraserhead et Un chien Andalou pour Gaspar Noé, Terence Fisher et Mario Bava pour Guillermo del Toro… Des extraits de films – Audition, The forbidden Zone, Schizophrenia, Freaks, Tetsuo, etc. – viennent illustrer des propos pleins de sincérité et d’amour pour une forme de cinéma dont on espère que l’Étrange Festival saura célébrer la particularité pendant encore longtemps.
Étrangement votre – 2014 – 52 min – France
Documentaire inédit de Frédéric Temps Produit par Steamboat Films
Diffusions sur Canal + CINÉMA mercredi 3 septembre à 23 H 00 et dimanche 14 septembre à 23 H 00
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