Si elle avait encore ce droit, des larmes couleraient sur ses joues. Cette eau salée dévalerait intrépidement sur son corps, inondant sa chair encore intacte, se mêlant à sa douleur. Si seulement elle avait ce droit, son maquillage coulerait, dévoilant sa noirceur, stigmatisant sa peau, atrophiant son épiderme. Si seulement elle pouvait encore pleurer sur son sort, celui qu’elle s’acharne à dessiner. Mais comment pourrait-elle encore se blâmer ? Comment s’apitoyer sur ce sort prédestiné ? L’amour n’est-il pas le sentiment le plus noble qui soit ? Celui qui justifie tous les sacrifices, tous les combats ? Mais lorsque sa main se lève pour abattre une femme, ses yeux restent intacts, trop ébouillantés par sa rage, par cette flamme qui dérive au creux de ses iris. Ça brûle, ça s’infecte. La jalousie est indigeste. Hurler, toutes les tuer, uniquement pour se libérer. Et le ciel s’assombrit, délicate frénésie. Les nuages se disloquent avec grâce. Vous savez, le sang imbibé d’eau ne laisse aucune trace.
Elle, la femme, c’est Gloria. Le long métrage débute brutalement en dévoilant son quotidien. Une éponge entre les doigts, elle exécute une toilette mortuaire. Après cette journée de travail, elle rejoint une amie chez elle, arpentant alors les sites de rencontre. Une proposition se distingue des autres, celle de Michel, la conviant à un dîner en toute simplicité. Rien ne laissait alors présager que de cette rencontre naîtrait une passion dévastatrice et barbare, défiant toute morale et bienséance. Inspiré du célèbre fais divers qui a ébranlé les Etats-Unis de 1947 à 1949, Alléluia est une adaptation libre de l’histoire macabre de Martha Beck et Raymond Fernandez. Plusieurs fois transposé à l’écran, notamment par Léonard Kastle avec Les tueurs de la lune de miel en 1970, ou encore Arturo Ripstein dans son œuvre Carmin profond en 1996, cet événement lugubre semble être une étrange inspiration pour le cinéma.
Présenté cette année à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes, Alléluia renoue avec les premières amours de son auteur. Le cinéaste Fabrice Du Welz se retire du Star-system et des exigences budgétaires des studios pour revenir au film de genre, comme nous l’avions connu dans Calvaire en 2005, axant alors sa caméra (du Super 16 en l’occurrence) dans les entrailles du viscéral, dans la séduction du glauque. Fragmenté en quatre actes, tous portant le nom d’une potentielle victime, le squelette narratif se tord au profit de la folie, de l’infernal et de la perversion. Nous sommes brutalisés par la pellicule de laquelle suinte un étrange paradoxe, celui d’aimer au même titre que tuer. L’amour devient une hache qui se plaît à égorger. Et la mort devient l’anneau qui les unit pour la vie.
Cet amour révoltant et indomptable, aliéné sans répit par la jalousie de Gloria, est filmé dans une succession de gros plans, le réalisateur emprisonnant au plus près le visage de ses acteurs, capturant alors chacune de leurs émotions, sensations, désarrois, effervescences. Le grain granulaire de l’image perturbe, déstabilise, avec des tons sombres et mystiques (on retrouve des rituels vaudous), comme si nous étions sans cesse au cœur de l’abîme. Viennent s’ajouter également des séquences sensitives, faisant appel à l’instinct primitif du spectateur, à son sensible originel et primaire. Ainsi, deux corps nus ondulent devant un feu, comme le serpent qui danse de Baudelaire, cruelle amante trop belle pour exister. Et tout cela amène un trouble, comme si la matière elle-même de la pellicule, était la matérialisation de la folie ténébreuse de ses personnages.
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