Au lendemain de la soirée teintée rock proposée la veille, on s’apprête à se plonger ce mardi soir dans un grand bain de pop d’aujourd’hui, stylée, acidulée et espérons-le…un peu déviante ! L’affiche du jour, globalement prometteuse, à l’air de coller à cet espoir. De fait, une locomotive très attendue semble susciter l’émulation et se trouve déjà sur toutes les bouches avant même que l’on pénètre sur le site du Bikini : le bien nommé Baxter Dury, qui délivrera un concert intense, dansant, amusant…bref impeccable et salvateur.
En arrivant, on apprend qu’il y a des changements dans l’ordre des sets prévus : Baxter, prévu en dernier, joue en troisième et laisse Asgeir le privilège (en forme de cadeau légèrement empoisonné) de clôturer la soirée, la dernière de cette mini tournée du festival Inrocks/Phillips 2014.
The Acid, qui passe en premier, ce sont trois musiciens (le chanteur australien et barbu Ry X et les producteurs Steve Nalepa et Adam Freeland). Leur set de ce soir sera à l’image de leur premier albumLiminal (2014) : intriguant, difficile à cerner mais envoutant comme un objet soyeux aux textures mouvantes et indéfinissables.
Tantôt électro planante minimale, puis doucereux et sombre comme du Talk Talk terminal. On se laisse envahir par des sensations bleues ouatées et un sens de l’acoustique qui fait mouche. L’art d’allier tous les contraires sans que cela sonne comme une expérimentation laborieuse. Jouant sur un léger effet d’hypnose, organique et éthérée, vaporeuse et détaillée, froide et romantique, leur musique est accompagnée de vidéos à l’esthétique sensuelle qui renforcent son intention chamanique. Où disons son pouvoir anthropocosmique. Basic Instinct, issue du premier Ep sorti en février conclut magiquement et un peu abruptement leur court set, avec sa ligne de basse répétitive qui sonnerait presque comme un vieux Chills remixé électro. La marque d’une mélancolie particulière, familière en Océanie, que partage peut-être Ry X? Les voix, intermittentes, sont utilisées comme des instruments à part entière, notamment sur quelques envolées psychés montées en harmonies très bizarres mais magnifiques. Au retour des lumières, beaucoup y vont du même réflexe : « Mais bon Dieu, ce morceau méritait de durer 10 minutes de plus ? ». Encore une manière pour The Acid de ne pas se laisser emporter dans les formats préétablis que suggèrent parfois les morceaux, même à tort. Un vrai moment d’étrangeté que cette formation. Un très beau moment.
Nick Mulvey et son groupe montent sur scène : il y a un batteur, une contrebasse électrique, un clavier, une choriste qui se dandine en se saisissant de temps à autre de petit instruments percussifs non identifiés et Nick, à la guitare électro acoustique. Il y a indéniablement une voix cajoleuse qui pousse plutôt bien dans les mediums, un toucher en picking tantôt africain, brésilien ou caribéen, très fluide joué en haut du manche. La section rythmique sonne world jazz dans les meilleures moments, variété balloche ou simplement banale la plupart du temps. Nick Mulvey était attendu, mais il peine à faire vibrer sur scène les qualités plus intimistes de son folk éclectique, charmant sur l’album First Mind (2014). Les indécisions stylistiques, savantes et captivantes chez The Acid , deviennent chez Mulvey des choix discutables, mi figue mi raisin et laissent un goût d’inachevé. Ces chansons ne sont pas faites pour être jouées par ce groupe, ni dans cet espace, les mélodies semblent plates, boostées d’un mauvais carburant. On a l’impression assez désagréable que Nick Mulvey n’arrive pas à occuper la scène comme il le voudrait, ni à se défaire d’une inhibition mal compensée par les musiciens gentiment professionnels qui l’accompagnent. Même la chouette Cucurucu n’arrive pas à la cheville de la version de l’album. Dommage, mais on était content que ça s’arrête.
Baxter Dury entre sur scène tiré par ses musiciens car vautré dans sa grande bouée cygne, en clin d’œil à celui (le cygne) qui prend la pose avec lui sur la pochette de l’album. Le ton est donné: en mode déconne attitude et classe décalée (il est en costard gris et cravate vert pomme), attitude de crooner déjanté ou nonchalant (il boit bière sur bière, pousse des petits cris de chacal dans son micro entre les chansons), il improvise des pas de danse improbables et balance de temps en temps des pièces en chocolat au premier rang. Côté musique c’est le pied. 50 minutes de pop mutante et discoïde qui prend toute sa dimension sur scène. Chœurs féminins mélodieux, rythmique d’enfer, lignes de basses funky, claviers 80’s moelleux comme des shamalows et guitares post-punks qui déchirent. Et bien sûr la voix faussement mal assurée de notre bête de scène qui se mêle torridement bien avec celles de ses deux choristes. Comme un Leonard Cohen devenu plus jeune et un peu plus vicelard. Le tout, parfaitement dosé, est servi par un son impeccable. Le set se concentre sur Happy Soup et le dernier It’s a pleasure même si un ou deux morceaux plus anciens sont joués. Toutes les chansons sont encore meilleures que sur les disques laissant de côté leur langueur parfois un poil désincarnée. A la fin du concert, The Sun touche au sublime en prolongeant son gimmick vocal en coda chavirante. On est scotché !
Asgeir a conclu la soirée mais c’était trop tard. On voulait rester dans notre bulle et savourer le moment rare qui venait de se produire. Une prochaine fois peut-être.
Note: