Déconcertant premier film que ce A Girl walks home alone at night. La réalisatrice Ana Lily Amirpour est allée tourner dans une ville pétrolière du désert californien afin d’en modeler le décor : Bad City, morne patelin iranien où règnent torpeur et petits larcins. Le jeune Arash tente d’y survivre avec son père toxicomane, sous le joug d’un dealer local. Drogues, prostitutions et petite délinquance sont le lot de cette cité iranienne façonnée sur le territoire américain avec une certaine habileté. L’affinité de ce paysage désertique moyen-oriental avec celui, légendaire, du western, est ainsi mise en exergue.
Au sein de Bad City surgit la présence inexpliquée d’une jeune vampire qui s’en prend aux habitants, puis se voit vite entraînée dans une romance avec Arash.
A Girl walks home alone at night, tout en noir et blanc léché (la photo est magnifique), entreprend la transfusion d’un attirail rock and roll vers l’Iran, opération permise par le tournage aux États-Unis. Le film s’inscrit dans une recherche effrénée du « cool », multipliant les renvois à une certaine culture populaire américaine. Tout contribue à convoquer l’univers tantôt du western, tantôt du film noir. A l’exemple du personnage d’Arash, qui par son look vestimentaire renvoie à des icônes masculines telles James Dean et Marlon Brando, de nombreux éléments sont utilisés comme autant de fétiches vintage, du vinyle aux lunettes de soleil en passant par la voiture rétro.
La mise en scène, quant à elle, adopte les tics du western spaghetti, associant des thèmes aux forts accents morriconiens à des ralentis ajustés. Quand la vampire s’en prend à ses proies, le temps des séquences se dilate comme dans les duels au revolver de Sergio Leone.
Mais à force d’user continuellement de la référence, le film s’engage moins dans les pas du cinéaste italien que dans ceux de Quentin Tarantino. Le régime citationnel et le brassage de références issues de divers horizons de la culture pop ont fait la marque de fabrique de ce cinéma émergé dans les années 90. Or, si Tarantino va puiser directement à la source des maîtres qui ont fait sa cinéphilie, nous voilà en 2015 avec un film qui cite l’acte citationnel. Exercice d’admiration non pas tant des films de Leone, donc, que des films de Leone digérés et remixés par Tarantino. La mise en scène se fait alors trop souvent simple habillage stylistique, se contentant d’imiter le geste d’un maître imitant lui-même d’autres maîtres. Les charmes ainsi obtenus tendent à s’évaporer une fois la séance finie et tout cela dessine un horizon de cinéma il faut bien le dire un peu mortifère.
Heureusement, le film ne saurait s’y réduire et recèle une singularité propre quand il se fait recherche d’une proposition plus originale sur la figure du vampire. La réalisatrice a l’intelligence de ne jamais réduire son personnage à un symbole ou à la personnification de quoi que ce soit. Elle lance des pistes mais refuse de s’engager pour de bon dans aucune d’entre elles. Celle de l’ange exterminateur, créature vengeresse venue faire le ménage est par exemple vite démentie. Le personnage n’est pas limité à une seule détermination, il reste hésitant, tantôt vengeant les opprimés, tantôt commettant le mal pour le mal, maintenu jusqu’au bout dans son ambivalence. Il serait erroné d’adopter pour le film une seule lecture féministe, où la vampire viendrait bousculer l’ordre d’une société sous domination masculine. Par ailleurs, la définition « merveilleuse » du vampire n’est jamais explorée. Quand la « fille » (ainsi la désigne le scénario) mord ses victimes, il n’y a pas de contamination. Si elle est immortelle, cette caractéristique n’est jamais explicitement développée. Pas plus que ses origines ne sont évoquées : elle se fait simple présence, surgie au cœur de Bad City sans que ne soient livrés le pourquoi ou le comment. Le film échappe par cette manière à tout didactisme et se nimbe de mystère. La vampire se fait plutôt créature au bord de l’animalité, et ceci très explicitement dans la belle séquence où Arash lui perce les oreilles et où sous l’effet de la douleur, ses canines ressortent, comme les griffes d’un fauve à l’approche de la menace. Tout cela donne un film tâtonnant, qui intéresse souvent, à défaut d’être abouti.
Note: