Il ne fait plus de doute que Tahlia Barnett et son alter ego FKA Twigs sont promis à un grand avenir depuis le stupéfiant premier album, LP1, sorti l’année dernière. Après deux beaux EP qui montraient tout le potentiel musical de l’ex-backup dancer (notamment chez l’infâme Jessie J) et qui surtout nous définissaient son univers, à la fois très intimiste et sombre que lumineux et plein de grâce par moments, le passage délicat au long format était attendu et elle s’en tira avec succès. On a eu vite fait de la classer dans la lignée des Björk, Portishead et Erykah Badu, ce qui est vrai pour sa tendance à l’introspection, aux expérimentations électroniques et un empreint à la musique Soul voire R’N’B. Mais tout ceci est au service d’une musique personnelle qui repousse les limites de la Pop traditionnelle, notamment grâce à l’aide du jeune et talentueux producteur Arca. Cependant, comme les artistes pré-cités, il était important de voir comment sa musique était retranscrite en concert, allait-elle être sublimée ? Ou perdrait-elle en intensité ?
C’est la magnifique salle du Casino de Paris, habituée aux spectacles d’humoristes ou d’artistes de la variété française, qui sert d’antre à la belle londonienne en ce 4 mars. Lieux à la fois luxueux et typiquement parisien, on ne peut qu’être excité par le paradoxal mélange qui s’annonce dans les minutes suivantes, avec la musique si moderne et électronique de FKA Twigs.
Il est important de bien débuter un show, et la jeune artiste d’origine nigérienne l’a bien compris. L’intro est impressionnante – celle du LP1 – surtout après une attente insoutenable de plus d’une heure, suite à une première partie sympathique : un D.J. français qui faisait davantage office de chauffeur de salle, avec son catalogue bien choisi de Hip-Hop contemporain et autres variations issues de la Trap music. Cette introduction aura eu le mérite de déjà contenir toutes les qualités du concert : puissance et ampleur des beats électroniques via un trio de musiciens vêtus comme des artistes Hard Rock/Glam, jeu de lumière hypnotisant et bien sûr, le charisme indéniable de Tahlia Barnett.
Après ce début en fanfare, on déchantera vite. Si le choix de Hide s’est avéré judicieux, en tant que première réelle chanson du set – cette ambivalence entre des éléments électroniques et des sonorités acoustiques du morceau initial laissé préservé d’un destin grandiose en live. Mais ensuite, peut-être intimidée par un public tout acquis à sa cause et très chaleureux, la princesse de la pop moderne a évolué en retrait sur quelques titres, sa voix se retrouvant alors étouffée par la pachydermie des instrumentations. On aura pu, au moins, admirer le grand professionnalisme de danseuse de l’artiste. La pourtant mémorable Video Girl devint peu passionnante et ralentie, tandis que la déchirante Water Me n’émouvait plus personne. Mais derrière son apparence fébrile, Tahlia Barnett est une amazone. La suite du concert ne sera qu’une montée en puissance pour la chanteuse, reflet de l’affirmation de plus en plus forte de FKA Twigs dans un monde de la musique qu’elle a côtoyé longtemps de loin. De Give Up au hit Two Weeks en grand final, la britannique va plonger l’audience dans un émerveillement total où elle sera l’objet de tous les regards. Pas des regards voyeurismes et pervers, car si la musique de FKA Twigs est intimiste, comme une sorte de discussion privée entre l’artiste et l’auditeur, cela se joue à des années-lumière d’un quelconque voyeurisme. FKA Twigs nous offre une mise à nu de son être, et cela prend tout son intérêt sur scène.
Au-delà du fait qu’elle se déshabille au fur et à mesure du show, passant de parures dorées, brillantes et superficielles à une sorte de combinaison sombre ne faisant qu’une avec sa peau, comme si elle enlevait ses couches successives pour laisser voir son âme et ses entrailles, c’est aussi par la danse et les variations vocales que cet entretien intime se met en place. À la fois pantin désarticulé (apothéose sur Pendulum) et breakdanceuse inouïe, elle nous offre les différentes facettes de sa personnalité. Cette mise à nu prend aussi des atours sensuels lorsque Papi Pacify, chef d’œuvre éminemment érotique, méduse la salle. Et si l’on pouvait avoir des doutes sur les capacités vocales de la belle en début de concert, elle a fini par mettre tout le monde d’accord dans les envolées quasi lyriques du final du superbe nouveau morceau dont elle nous a gratifiés : Figure 8 et son break Hip Hop inattendu.
Alors certes, le concert était court, on s’y attendait au vu de la discographie naissante de FKA Twigs, mais cette dernière n’a rien laissé de côté mis à part quelques titres. Cette déception est finalement bénéfique tant on aurait voulu que le live dure des heures, que la jeune artiste nous ensorcelle encore et encore. Ce show aura au moins acté définitivement la présence de Tahlia Barnett dans le cercle des très grands espoirs musicaux mondiaux, après des disques de qualité. A bientôt, avec un EP3 cette année et peut être à l’Olympia ?
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