Versatile Mag : Dans notre précédent entretien, tu disais ne plus vouloir jouer pour une chapelle. As-tu l’impression d’avoir changé de statut avec ton album précédent ?
Dominique A : Disons que la chapelle s’est muée en basilique ! Les choses ont bougé, oui. J’avais l’impression depuis quelques disques d’être sur un terrain stagnant et là, j’ai eu la sensation que de nouvelles personnes sont venues aux concerts, que le public s’est élargi. Ça n’a pas bouleversé ma vie, mais il y a eu une considération plus forte accordée à ce que je faisais, un crédit supplémentaire. On a arrêté de me seriner avec le truc du second couteau permanent. Tout cela m’apporte un confort psychologique, moral et financier pour travailler et créer. C’est une récompense pour le label qui me soutien depuis longtemps et qui me donne les moyens de faire ma musique. Avec la réponse du public, je crois qu’ils n’ont pas misé sur le mauvais cheval.
On te voit davantage dans une presse plus généraliste, dans Paris Match ou Elle. A contrario, ton album a eu une critique très tiède dans les Inrockuptibles. Comment réagis-tu à ça ?
C’est le principe des vases communicants. À partir du moment ou tu deviens plus exposé, les soutiens d’antan ne l’entendent plus de cette oreille. Concernant la critique des Inrockuptibles, Christophe Conte a le droit d’écrire ce qu’il veut et de s’emmerder en écoutant mon disque. Je suis juste surpris des revirements de jugement, car quand il a eu le disque entre les oreilles, il a publié un tweet très enthousiaste. Donc finalement, je reçois son papier comme un mouvement d’humeur contre un consensus, une unanimité qui l’ont énervé, plutôt que comme un jugement sur le disque lui-même. Ça ne me laisse bien sûr pas indifférent parce que mon histoire est aussi liée à des médias comme les Inrocks, mais aujourd’hui, je préfère faire une émission de télé généraliste digne plutôt que d’avoir une super chronique dans un canard, l’impact n’est pas le même. Tu ne touches pas les mêmes gens mais dont les oreilles ne sont pas forcément moins avisées que celles de lecteurs de magasines spécialisés.
Tu as en revanche toujours été soutenu par France Inter, heureusement que la grève n’est pas tombée trois jours plus tôt, cela aurait compromis la promo de l’album et le concert que tu as donné dans l’auditorium de Radio France !
C’est ce qui s’appelle passer entre les gouttes! Une personne bien informée m’aurait laissé entendre qu’ils auraient peut-être attendu. Ce serait très valorisant pour moi, je m’avance sans doute en disant cela. Mais c’est très troublant. En tout cas, c’est vrai que ce concert était très attendu, très événementiel, il y a vis à vis de moi beaucoup d’affectif de la part de la station pour ce que je fais. Mais si la grève été tombée plus tôt, cela aurait été très problématique par rapport à la sortie du disque, même si je suis du côté des revendications qui sont exprimées.
Comment as-tu vécu ce concert avec l’Orchestre National de France ?
C’est un vécu qui n’est pas très valorisant pour moi. Je me plante dès la première phrase, je suis resté sur ce sentiment en essayant de maintenir le cap. Sinon, c’était très chouette de jouer ces morceaux dans des conditions de quasi enregistrement. Ce qui est difficile, c’est que c’est un one shot. On te donne les clés de la maison, mais on ne t’ explique pas comment ça fonctionne. Les répétitions se sont très bien passées, mais le moment en lui-même, je l’ai vécu comme une absence. Le seul critère d’appréciation est celui du jugement des gens autour de moi ou qui ont écouté la retransmission. Comme cela a été très bien reçu, c’est l’essentiel pour moi. Il ne faut pas trop réfléchir dans ce genre de situation. Tu te retrouves à poil dans une situation de débutant total, il faut faire confiance à ton expérience de la scène. Mais clairement à ce moment-là, je ne suis pas dans la musique.
Est-ce que ce concert donne l’intention de la tournée qui s’annonce ?
Pas tout à fait. L’élément stable, ce sont les trois musiciens qui joueront avec moi sur scène pendant la tournée. En termes de son, on va rester sur cette intention-là, mais la tonalité sera un peu plus électrique, plus rock. Au début, je pars toujours sur l’idée de calmer le jeu avec quelque chose d’un peu plus feutré, mais dès que les répétitions démarrent, l’électricité revient au galop. J’étais venu avec une liste de titres qu’on n’a pas du tout respectée, car on n’éprouvait aucune émotion à les jouer ensemble. Je m’en suis remis aux envies de mes camarades.C’est bien mieux que de vouloir respecter à tout prix un cahier des charges. Et puis, le fait de retrouver Sacha (Toorop, à la batterie, NDLR), cela nous a permis de rejouer de vieux morceaux qu’on n’avait pas joués ensemble depuis douze ans – comme ceux de l’album Remué, qui était le dernier que je pensais pouvoir refaire sur scène – , de leur redonner une seconde vie.
Je sais que tu ne te considères pas comme un groupe, mais pourquoi avoir changé de line up par rapport aux tournées précédentes ?
Par rapport à Thomas (Poli, à la guitare, NDLR), j’avais très envie de reprendre la guitare en main, car avec lui, je jouais surtout en rythmique. Il y avait aussi l’idée du trio pour l’enregistrement, de mettre Sacha et Jeff (Hallam, à la basse, NDLR) en rapport tous les deux. La seule question est celle du son que j’ai envie d’entendre et de choisir la personne optimale pour l’obtenir, c’est ça qui détermine le line up. En l’occurence, je voulais un disque qui soit clair et épuré, où il n’y aurait pas trop de guitare saturée. Cela aurait été aberrant de faire appel à Thomas pour lui demander ce type de son pendant tout le disque. Ce n’est pas du tout lié à une lassitude de personne ou de mésentente, mais au projet en soi. Je serais ravi de le retrouver s’il le veut bien et s’il n’a rien d’autre à faire sur un prochain disque. C’est aussi ma liberté en tant qu’artiste solo. Ce qui a pu se produire – et notamment sur le disque précédent –, c’est que ça fonctionne tellement bien, on a tellement un son de groupe que ça en devient enfermant pour moi. L’idée d’un autre disque avec ce groupe serait liée avec un son qui existerait déjà. Il y a des façons de faire, des systématismes qui naissent dans un contexte de groupe qu’il faut à moment donné casser, pour partir sur un projet différent.
Éléor est un album où la basse de Jeff est très mise en avant.
Je voulais entendre ce que donnerait son association avec Sacha. Ce sont deux musiciens atypiques par rapport à leur instrument, avec un jeu très marqué. C’était un pari, mais j’avoue que j’étais très confiant. Ensuite, comme on partait sur une idée de trio, il était évident que chaque élément allait avoir son importance et du coup, les lignes de basse de Jeff prennent d’autant plus de place, dans le bon sens du terme. De surcroît, Sacha et Jeff sont des gens qui écrivent des chansons, ce sont des song writers, comme Boris (Boublil, aux claviers, NDLR) . Ils ont conscience de ce qui est bon pour une chanson. Cela induit un résultat qui ne serait pas le même avec des personnes qui sont de très bons musiciens, mais qui n’ont pas cette intuition-là.
Il y a aussi cette section à cordes, qui est magnifique sur le disque.
J’ai beaucoup tourné autour de cette idée depuis plusieurs albums et là, ce sont les chansons qui appelaient ça. J’avais les morceaux qui permettaient cette approche. Au bout d’un moment, je me suis dit que l’idée du trio ne suffirait pas et que les titres avaient besoin de cette étoffe. C’est un album qui est assez classique dans sa forme, c’est une façon d’aller aussi loin que possible dans mes goûts par rapport à un son qui soit typé, pas complètement contemporain ni passéiste, mais intemporel.
Est-ce que je me trompe si je dis qu’Éléor est un album moins contrôlé que les précédents?
C’est marrant que tu dises ça, car j’ai l’impression qu’il l’est malgré tout dans la mesure où on a eu beaucoup de temps entre l’enregistrement et le mix. Ça nous a permis de faire évoluer la construction des morceaux, reprendre les choses comme on le voulait avant de le mixer. En revanche, ce que tu ressens-là, c’est qu’il y a sans doute moins d’intention marquée, moins de vigilance sur ce que je ne veux absolument pas faire, et être dans un relâchement vis-à-vis de ça. Le prochain disque sera plus marqué en termes de parti pris artistique, c’est clair. Ici, c’est plus vague, plus diffus, mais c’est assumé. J’avais juste une envie de son aéré et clair. Je voulais mettre en avant les chansons pour ce qu’elles sont dans leur forme la plus nue.
Une chose est sûre, c’est que les chansons sont plus courtes.
Ça, c’est volontaire et très assumé, d’être dans un format pop, d’évidence. Il y a aussi plein de refrains, ce qui n’était pas le cas tant que ça dans le dernier. C’est un cadre très arrêté dans lequel je voulais voir comment je pouvais m’épanouir.
Dans Vers les lueurs, il y avait cette thématique électrique, dans Éléor, c’est l’élément aquatique qui traverse les morceaux. C’était intentionnel dès le départ ?
Ça s’est dessiné au fur et à mesure. Il ne me manque plus que le feu et la terre pour revisiter tous les éléments les uns après les autres (rires). Comme dans le disque précédent où tu te rends compte que le thème de la lumière vient à s’imposer, tu en prends acte, tu assumes. C’est ce qui permet de typer un disque dans son propos. J’ai donc acté les choses pour épuiser une façon d’écrire sur certains thèmes. Ce qui ne veut pas dire que je n’écrirai pas de nouveau sur l’eau, mais je serai vigilant. Avec dix albums au compteur, il y a forcément des passerelles qui se créent entre eux, je ne prétends pas au renouvellement perpétuel. J’avais eu cette conversation sur l’écriture avec Pauline Croze et je m’étais surpris à dire qu’il fallait à un moment accepter de ressembler à sa propre caricature. C’est dans cette forme de conscience que tu peux accepter d’être dans le lâcher prise. Pour Éléor, j’ai justement voulu que les intentions soient le plus discrètes possibles car les gens ressentent quand un disque est trop pourri par ses volontés de faire comme ci ou comme ça.
J’ai l’impression que les lieux t’inspirent de plus en plus, c’est nouveau ou ça a toujours été le cas.
Ça a toujours été le cas, mais là, ça s’est affirmé. Beaucoup de choses ont été écrites à Bruxelles, c’est en revenant de voyage, la tête pleine d’images, que les choses se décantent au fur et à mesure. Une partie a été écrite en Nouvelle-Zélande, mais c’est davantage une amorce qui a été concrétisée à la maison. C’est plutôt une idée d’emmagasiner des impressions, de sensations qui donnent lieu – ou pas – à des chansons. Il peut y avoir des voyages dont je reviens avec des images très fortes, mais qui deviennent des barrages à l’imagination tellement elles sont marquées par ce qui j’y ai vécu. C’est imprévisible, mais c’est comme l’eau, il faudrait que je m’interdise à l’avenir de faire quelque référence géographique que ce soit. Je disais qu’il faut accepter de ressembler à sa propre caricature, mais il ne faut pas en rajouter trois couches non plus ! Quand on a la conscience de ce qu’on écrit, il faut s’accepter et se fuir un peu.
Propos recueillis le 16 avril 2015
Éléor – Disponible chez Cinq7
Note:
Dominique A en tournée : toutes les dates sur Comment certains vivent