Après quelques formidables films d’animations (Ratatouille et Les Indestructibles, entre autres), Brad Bird nous avait gratifiés d’un des plus excitants films d’action du cinéma d’exploitation contemporain : Mission Impossible 4 : Protocole Fantôme. Les personnages acteurs de ce film ressemblaient plus aux corps en images de synthèses des Indestructibles qu’aux corps réels testostéronés des films d’action classiques. Dans Mission Impossible, les corps étaient perdus dans des réseaux de pilotage et de téléguidage à distance, constamment victimes d’environnements changeants sous les lois de programmes informatiques et autres toiles cybernétiques, grâce auxquelles Brad Bird s’amusait avec bonheur.
Tomorrowland (À la poursuite de demain) est une section des parcs à thèmes Disney avant d’être un film, ce qui à première vue, fait froncer les sourcils. Est-il vraiment préférable que le film ne soit pas issu d’une franchise si c’est pour qu’il se retrouve être une vulgaire publicité pour une attraction de foire ? Trop simple. Le cinéma est relié par son histoire aux attractions foraines, il y aurait quelque part une hypocrisie de la part de celui qui se sentirait fier de dénoncer ce qui peut dans le film faire parfois penser à une publicité pour telle ou telle attraction du parc Disneyland. Cette forme ramène À la poursuite de demain à une origine foraine du cinéma plus qu’il ne l’exporte vers un futur en produits dérivés divers. La présence de Disney dans le film pèse surtout au début, comme s’il avait fallu remplir vite fait les aspects pénibles du contrat pour ensuite passer à autre chose.
Au-delà de cet ancrage dans l’entreprise Disney, le film raconte une histoire, finalement pas si simple : un lieu fut il y a quelques dizaines d’années de cela, créé par des scientifiques pour faire apercevoir (et plus ensuite) à l’humanité ce que serait un monde meilleur, ce monde c’est Tomorrowland (dont on oubli assez vite qu’il est à l’origine une attraction du parc, l’idée que Disney a la clé pour la création d’un avenir radieux s’estompe rapidement). Seulement Tomorrowland est caché dans une sorte de dimension parallèle et puis, quelque chose s’y est déroulé, quelque chose de grave. On part de ça, et on part de Casey, une adolescente nostalgique, nostalgique des fusées, d’une vision optimiste du progrès, de l’exploration, de l’espoir de la découverte. Seulement le monde autour d’elle ne l’entend pas de cette oreille, l’heure est au pessimisme et à la lamentation, la base aérospatiale près de chez elle va fermer et être détruite malgré ses tentatives de sabotage/sauvetage de l’endroit qui incarne ses rêves.
Le film s’ouvre par ce qui l’achèvera deux heures plus tard, Clooney, le vieux scientifique désabusé, et Casey la jeune pleine de promesses et d’espoir, tous deux face à la caméra essayant tant bien que mal de nous raconter une histoire par une sempiternelle voix-off sentencieuse. Au secours ? Surtout pas, tout de suite les évènements sont commentés, les voix plaisantent dessus, on recule, et le déluge d’inventivités formelles peut commencer. Ce qui suit ces premières minutes, à savoir un flash-back dans l’enfance de Frank Walker (Clooney) lorsqu’il découvre Tomorrowland, nous fait reconnaître des motifs de la « marque » : un petit garçon intrépide style castor junior, et une petite princesse en robe, ultra-genrée, soit beaucoup de matière à une exaspération légitime, tout cela toutefois s’estompera très vite, lorsque que le petit garçon deviendra vieux scientifique à barbe de trois jours, et que les filles iront se battre et troqueront leurs robes (pour ne jamais les remettre) contre des vestes en jean et cuir.
Brad Bird s’amuse, (et s’est amusé avec son co-scénariste Damon Lindelof, pour une fois bien cadré…) tout d’abord par le biais d’un pin’s que l’on touche, et qui par ce geste nous transporte dans « le monde de demain » (Tomorrowland) et nous permet d’y évoluer et de le contempler, tout en restant physiquement ancré dans le monde réel. Cette trouvaille permet un comique réjouissant, très largement exploité par le film, qui sera suivi d’une multitude d’épisodes d’actions burlesques détonnantes. Par exemple, une séquence de combat chez un couple de collectionneurs geeks dans laquelle on se bat à l’aide de produits dérivés Star Wars… Formidable commentaire du ressassement des motifs ayant fait le succès de diverses franchises antérieures, et une (première?) conséquence sympathique du rachat de Lucasfilm par Disney. On notera également une bande de méchants entre un FBI de pacotille et une parodie des men in black, donnant un groupe d’action men, encore une fois entre le jouet et l’humain, entre le corps réel et le personnage issu du film d’animation.
L’épopée vers Tomorrowland se révélera finalement assez minimaliste, elle prendra une forme de road-movie en jeu de piste ponctuée de dialogues parfois très drôles et de séquences plus énergiques, vers une idée merveilleuse qu’on ne révélera pas, incluant la tour Eiffel en son programme, cet élément quasi identifiable au château Disney, borne touristique mondiale ainsi que symbole d’une science industrielle empreinte de merveilleux. Cet enchantement face à ce que peut la science est aussi celui que le spectateur qui va voir des blockbuster a depuis plusieurs années face aux effets numériques, qui servent ici à un grand épanouissement enfantin plutôt qu’à une enfilade d’explosions et de destructions en tous genres. Il arrive à Casey de hurler de bonheur lorsque quelque chose d’extraordinaire se produit, peu d’autres films nous ont montré telle qu’elle, l’excitation produite par tout ce feu d’artifice optique et sonore, sur les spectateurs comme sur les personnages.
Souvent les effets spéciaux ont servi à casser, à faire sauter ce qu’il avait eux-même construit, des moyens monumentaux sont mis en place pour que finalement tout explose. C’est plus compliqué ici, le numérique a produit ce monde de demain, fait de voitures volantes et de tours géantes sur lesquelles poussent des arbres, mais ce monde, et c’est la déception finale, est terminé, ce que l’on voyait en touchant le pin’s n’était qu’une publicité pour quelque chose n’ayant jamais réellement existé… Passionnant retournement quant à l’éventuel risque que le film lui même ne devienne qu’une publicité, au plus près du magique et de l’avenir positif, on tombe finalement sur des ruines, sur du gris, et les effets spéciaux, ici dans une analogie avec le progrès scientifique écologique, serviront à construire et reconstruire plutôt qu’à briser.
Cet aspect déceptif ainsi que le resserrement du film autour d’un simple voyage, trouve une ampleur dramatique grâce à un troisième personnage, « Athena », la petite princesse du début qui n’a pas grandi en 40 ans. Athena est une androïde, elle n’est « faite que de 1 et 0 » comme le lui reprochera Frank Walker dans un accès de doute colérique. Ce personnage qu’a rencontré Frank dans son enfance n’a pas changé, elle est restée le même programme qui continue de croire en Tomorrowland, lorsque lui semble avoir tout abandonné. C’est peut être ce qu’il y a de plus beau dans le film, cette focalisation douce et progressive sur ce petit être bouleversant (le mouvement de ses paupières est parfois animé avec une délicatesse mécanique hors du commun) dont le corps viendra littéralement à la toute fin, sauver la planète des catastrophes qui lui sont promises. L’histoire d’amour entre l’enfant devenu homme et le robot resté robot pourrait être la chose la plus sentimentalement facile du monde, elle a pourtant cette honnêteté de rester dans une faille, dans un entre-deux que l’on pourrait dépasser avec pas grand chose mais qui reste une insolvable impossibilité, se finissant sur une merveilleuse saillie ironique d’Athena. Les raisons de cette réussite sont également plastiques, la jeune fille castée pour Raffey Cassidy est à la fois le stéréotype de la (très) jeune actrice quasi Disney Chanel, et possède en même temps un visage insaisissable, entre le doute d’une modélisation 3D, le simulacre marketing et l’incarnation criante de vérité.
À la poursuite de demain articule ainsi un récit picaresque, une course contre la montre que le film partage avec bon nombre de blockbusters marivaudant avec l’apocalypse, et un conte moral naïf sur le comportement à adopter face aux crises en tous genres.
Peut on aimer un film moral ? Ou plutôt peut-on l’aimer au delà d’une approbation ou désapprobation éventuelle de ce qu’il a à nous déclarer ? Tomorrowland flirte parfois dangereusement avec le climatoscepticisme, lorsque que l’on découvre par exemple, que l’humeur apocalyptique généralisée et les catastrophes annoncées sont en fait le fruit d’une vilaine machine visant à maintenir les humains dans leur peur et immobilité morose. Seulement si tous dans le film n’ont pas les même solutions à apporter à la crise écologique, à la destruction de la planète par l’homme, jamais de doute n’est émis quant au fait que celle-ci soit effectivement gravement menacée. Et le « méchant » (Hugh Laurie) n’a pas vraiment tort, son discours n’est pas contredit, il n’a simplement pas la bonne attitude face à ce qui arrive.
Il ne s’agit alors pas de faire taire ceux qui « veulent nous faire croire que la fin du monde est proche » et de reprendre nos vies bien tranquillement, mais plutôt de prendre position un peu naïvement, pour un sauvetage de la planète par un émerveillement généralisé pour un progrès scientifique bienveillant.
Rares sont les films mélangeant avec autant de bon sens une couleur enfantine liée à l’aventure trépidante style club des cinq bigger than life, et des questionnements de fond sur les images numériques comme avenir déjà en ruine. Le lieu Tomorrowland est le grand rêve d’un cinéma total, les corps en immersion dans les images, se déplaçant dans l’univers modélisé par les ordinateurs. Plus que les lunettes 3D, le rêve du visiocasque à 360°, la technologie, le cinéma et ses récits, mains dans la main vers un monde meilleur. La naïveté de cette dernière phrase est à la hauteur de la naïveté du film, comme l’était celle d’Avatar, étonnamment attaqué pour être le délivreur d’un message écolo et pacifiste soi-disant simpliste, mais tout de même, constatons que peu d’autres films coûtant plus de 150 millions de dollars peuvent se vanter d’en faire de même.
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