Album de la sénilité
Quand on a dans son groupe des pointures comme John Stanier (ex-marteleur de fûts du groupe culte Helmet), Ian Williams (ex-Don Caballero, groupe de Math Rock) et Tyondaï Braxton (guitariste à la carrière solo admirable), on est forcément attendu. En 3 sorties (B Ep, Ep C et leur premier Lp, Mirrored en 2007), Battles a marqué de son empreinte l’environnement musical des années 2000. Une décennie où le Hip Hop devient mainstream au point de concurrencer la Pop, où l’Electro vient s’accoupler avec le Rock ou le Metal, où la démocratisation d’Internet permet aux musiques les plus extrêmes, les plus avant-gardistes, de trouver un public qu’elles n’auraient jamais soupçonné toucher auparavant. La précédente décennie a considérablement changé notre perception de la musique, nos goûts aussi, et rarement les frontières entre les genres avaient été aussi bousculées, transpercées, détruites. Battles est un super-groupe – terme qui désigne le plus souvent des groupes composés de membres d’autre groupes ayant une certaine renommée – qui profite pleinement de cette ère du mélange. Stanier, Braxton, Williams et le quasi inconnu à cette période Dave Konopka, sont issus de genres assez différents et par leur union ont choisi de s’ouvrir vers de nouveau champs stylistiques tout en apportant leur propre bagage. Battles est un groupe de Pop arty, expérimentale et souvent instrumentale jouée par des types qui ont fait leurs gammes dans le Hardcore, le Math Rock et le Drone. Le résultat aurait pu être indigeste mais heureusement il fut génial, au point que Battles soit devenu dans la conscience collective plus connu que les projets initiaux de chaque artiste. Et à Mirrored d’être célébré dans la presse internationale, au point de souvent être cité dans les tops des albums les plus marquants des années 2000.
« Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ». Le célèbre vers du sublime poème Isolement de Lamartine aurait pu être le titre du second opus de Battles. Avec le départ du talentueux Tyondaï Braxton, pour se concentrer sur sa carrière solo qu’il ne voulait pas mettre entre parenthèses, en pleine composition de ce tant attendu deuxième album, le quatuor devenu trio s’était alors retrouvé comme un poulet sans tête, toujours capable de se mouvoir mais sans savoir où aller. Glass Drop, œuvre foutraque, bancale, parfois géniale, souvent décevante et peu cohérente, subissait de plein fouet la perte d’une partie du code génétique de ses créateurs. Les trois musiciens avaient alors tout tenté pour gommer l’absence de leur chanteur/compositeur en faisant appel à plusieurs artistes tous aussi géniaux qu’eux : Gary Numan, Matias Aguayo, Kazu Makino ou encore le monstrueux Yamantaka Eye (membre fondateur des immenses Boredoms). Cependant, on pouvait déceler une belle énergie pleine de folie et de démesure qu’on espérait voir polie et maîtrisée dans un troisième Lp qui a lui aussi pris son temps. Quatre ans, comme entre le premier et le deuxième.
Malheureusement, de folie, il n’en sera point question dans La Di Da Di, alors même que le titre, absurde, s’y prêtait parfaitement. Touché en son cœur par le départ de Braxton qui avait alors mis en péril la composition de Glass Drop, expliquant en partie sa semi réussite – ou semi échec si on veut être négatif – on sent que Battles avait envie de prendre son temps et de sortir un album carré et homogène. Et La Di Da Di est bien tout ça et on ne pourra le lui reprocher après l’hétérogénéité déceptive de Glass Drop. Seulement, au sacrifice du n’importe quoi, il arrive parfois qu’on perd en spontanéité mais surtout en génie. On aurait préféré que le trio vende son âme au diable et continue dans la voie entrouverte il y a 4 ans plutôt que se ranger sagement dans l’espoir peut être de plaire à un plus grand nombre. Pourtant tout avait bien commencé avec The Yabba dans la pure veine de Battles. Son intro interminable qui fait monter la pression, son parfait jeu entre les trois instruments (batterie, synthé et guitare), son influence World Music (ici des sonorités asiatiques), ses moments d’explosion quasi orgasmiques ; on avait là un premier tube annonciateur d’une suite faste. Mais Battles peine à retrouver ce même brio au cours de l’album.
On l’aperçoit à quelques instants : le jeu de batterie puissant et frénétique de Dot Net, Dot Com et Megatouch ; l’utilisation originale de la guitare de FF Bada et Non-Violence ; le synthé-roi de Dot Com et Megatouch. Il y a ici de grands musiciens qui jouent ensemble, et c’est remarquable. Il semble juste que trop souvent on cherche plus à nous impressionner qu’à nous faire vibrer. Battles n’a jamais été un groupe émouvant au sens propre mais il parvenait à nous surprendre, nous emmener dans des territoires inconnus et renversants, à la manière de certains grands noms de Warp – Aphex Twin, Flying Lotus et Squarepusher par exemple – le label sous lequel ils ont signé il y a presque 10 ans. Ici, la machine tourne un peu trop souvent en rond, et malgré la technique incroyable des artistes, on arrive à nous ennuyer, comme sur Summer Simmer ou Tricentennial. On sent aussi que Battles veut explorer une veine plus posée, Cacio e Pepe l’indique bien, mais cela reste trop minoritaire pour marquer, sauf peut être dans le très bon morceau de clôture Luu Le.
On a coutume d’appeler l’album le plus maîtrisé et le plus cohérent d’un groupe « album de la maturité », ce que serait idéalement La Di Da Di. Mais paradoxalement, et comme dit précédemment, en faisant cela, Battles semble tirer un trait sur ce qui nous avait fait les apprécier, voire les aduler. Ne pas confondre maturité et sénilité. Ce n’est sûrement pas définitif – on l’espère ! -, ce n’est peut être qu’une base pour un nouveau départ éloigné d’une douleur passée encore trop vive lors de la composition de Glass Drop. Mais Battles est aussi réputé comme un excellent groupe de live, une scène où l’alchimie entre les membres prend tout son sens. Peut être alors que La Di Da Di s’en trouverait transformé ? Peut être que l’apparente paresse des morceaux s’estomperait derrière l’envie de Williams, Stanier et Konopka ? A vérifier fin octobre au Pitchfork Music Festival.
Note: