Très attendu, le retour de Terrence Malick risque pourtant de laisser plus d’un spectateur sur le bas-côté. En pleine crise d’autisme, installé dans son statut de super-méga-auteur, le cinéaste rappelle ici tristement les pires moments, par exemple, d’un Federico Fellini. Ou quand le style n’est plus qu’enveloppe vide et répétition ad nauseam de gimmicks faisant signature.
Alors le film plaira aux convertis, les premiers retours critiques des malickiens purs et durs en attestent déjà. Or une politique des auteurs bien tempérée consisterait non à applaudir au moindre mouvement d’index du cinéaste tant aimé, mais à rester lucide sur ses échecs.
De quoi est-il question dans Knight of Cups ? De Rick (Christian Bale), scénariste à Hollywood au tournant de sa carrière, en passe d’accéder au pont d’or. La symbolique pèse d’ailleurs mille tonne : pour signifier l’ascension du personnage, il est filmé… en train de prendre l’escalator ! Seulement voilà, Rick semble un peu perdu. Il navigue de fêtes en night-clubs, enchaînant les conquêtes féminines et se querellant avec celle qui semble être son ex, campée par Kate Blanchett. Et puis il y a son père, petit homme ratatiné qui passe son temps à marmonner dans sa barbe, l’air concentré. Et son frère, dont on comprend qu’il est l’inverse de Rick et qu’il rate sa vie. Les rapports entre eux trois n’ont pas l’air simple sans qu’il soit possible de discerner vraiment pourquoi, tant le film est avare en dialogue. Malick semble bien décidé à se passer de toute exposition et à balancer ses personnages dans sa mixture filmique sans prendre la peine de caractériser un brin tout ça. On l’a bien compris, son ambition n’est pas de nous raconter une histoire mais de construire un vaste poème visuel et sonore, faisait soigneusement fi de toute narration traditionnelle. Pourquoi pas. Sauf qu’il faut un sacré talent pour se lancer dans ce genre d’entreprise. Et c’est bien ce qui manque ici.
Car à quoi a-t-on affaire ? Plus à un ramassis d’images publicitaires qu’au poème annoncé. Malick s’est aventuré sur un terrain nouveau chez lui : Hollywood, la Californie, la fête, la débauche. De cet univers, plus familier chez Bret Easton Ellis que chez l’amoureux des champs de blés battus par les vents, il est frappant de voir combien le cinéaste peine à rapporter la moindre image neuve. Une image qui n’aurait jamais été faite, image jamais aperçue dans les pages en papier glacé de Vogue ou de Gala. Dans le numéro de mars 2015 des Cahiers du Cinéma, Jacques Rancière critiquait le dernier opus de Larry Clarke en regrettant que le film ne ressemble à rien d’autres qu’aux pubs vues avant la séance. Evidemment, cette remarque a sa limite. Des films contemporains, à l’image de Spring Breakers, ont bien montré comment ces images (de la pub, du clip, etc.) peuvent être digérées pour se voir mieux détournées et tournées en dérision.
Or, qui voudrait discerner le moindre regard critique dans Knight of Cups se verrait en difficulté tant Malick préfère se réapproprier ces images pour mieux les faire participer à son patchwork sans réelle mise en perspective.
Nous en voulons pour preuve, tout bêtement, que le cinéaste filme tout, rigoureusement, de la même façon. Que ce soit Christian Bale errant en boîte, dans un décor de luxe ou dans un studio vide, la mise en scène ne varie pas, prenant le corps de l’acteur pour point d’ancrage et se positionnant en contre-plongée. Si bien qu’à force, la mise en scène semble dépourvue de sens, et ce qui pourrait être style, marque de fabrique n’en devient plus qu’habillage arbitraire. Et le film de ressembler à une pub EDF.
Alors il faut reconnaître au film une certaine richesse plastique. Les motifs, tel celui du personnage errant dans un espace vide, se font régulièrement écho, tout comme une trouée lumineuse apparaît fréquemment, indiquant une grâce divine qui pourrait descende toucher le héros. Seulement, à force de se voir diluées dans un montage fourre-tout, ces images perdent en densité, leur justification échappe. Plutôt intéressante, la volonté de mêler prises de vue professionnelles avec images à la GoPro pourrait donner un gain esthétique. Or la mise en scène est répétitive et ne se renouvelle jamais de tout le long du film. D’où l’impression d’une œuvre en pilote automatique, et qui pourrait durer quinze minutes comme quatre heures, sans que cela ne change rien à l’affaire.
En rester là reviendrait à ne rien dire de la pompe de l’entreprise. Car d’humour, pas une goutte ne filtre. C’est que l’affaire est sérieuse. Rick cherche : le grand amour, Dieu, le sens de l’existence… On n’est pas trop certain, mais tout cela justifie bien une voix off solennelle et un esprit de sérieux à faire passer Christopher Nolan pour Woody Allen. Il faut reconnaître une certaine témérité à Malick pour conserver jusqu’au bout ce ton qu’il semble affectionner, tout comme il faut de la bonne volonté au spectateur pour ne pas trouver tout ça bien risible.
Car après tout, pourquoi le film n’est-il pas bouleversant ? La beauté naît souvent de l’audace. Seulement voilà : de belles images, de belles musiques et de grands sujets ne font pas tout. Malick croit qu’il a les éléments pour faire un chef d’œuvre, mais le film fait penser à une fusée sans rampe de lancement. Manque quelque chose qui ferait décoller le tout : bêtement, un peu d’incarnation. Christian Bale bredouille peut-être deux lignes de dialogue, les pauvres Kate Blanchett et Nathalie Portman passent dans le paysage sans que jamais leur sort ne semble importer. Chacun n’est qu’un archétype : il y a le Père, le Frère, tous avec une lettre majuscule. On se croirait dans la Bible ! Mais jamais ce préchi-précha ne daigne accorder une once de caractère à chacun.
Une scène est très révélatrice: Bale roule en décapotable avec ses dernières conquêtes féminines, et chacun bouge la tête au rythme de la musique émise par l’autoradio. Or de ce son-là, rien ne parvient au spectateur. Lui n’entendra que la bande-son tonitruante superposée à la scène par le cinéaste, tout comme l’image ne sera que sur-cadrage et mise en scène hyper-voyante. C’est en somme un cinéma d’auteur tout puissant, sourd aux bruits du monde, décidé à faire entendre sa seule musique, incapable d’ajuster son cadre au personnage, désireux de tout écraser de son point de vue. Sinistre horizon.
Note: