On avait quitté The National l’année dernière sur la meilleure des notes, celle de concerts plus magistraux les uns que les autres. Ils avaient d’ailleurs fini en tête de notre classement annuel des concerts, une place loin d’être usurpée. Mais nous ne reviendrons pas sur les performances des frères Dessner et leurs acolytes et nous nous concentrerons plutôt sur le charismatique chanteur du groupe, à savoir Matthew Berninger.
Ce dernier s’est laissé aller à un projet parallèle en compagnie d’un de ses amis, Brent Knopf lui également échappé de son groupe, l’excellent Menomena. Voilà maintenant plusieurs années que ses deux-là voulaient travailler ensemble, mais les succès de leurs groupes respectifs ne leur permettaient pas d’avancer réellement sur leur projet commun. Et c’est donc il a y quelques jours – et sans vraiment crier garde – que le projet EL VY a vu le jour. L’album Return to The Moon est d’ores et déjà disponible et c’est une véritable pépite.
Parfois, perdre du temps a du bon. A l’instar de Broken Bells, projet parallèle de James Mercer et de Danger Mouse, EL VY permet à ses créateurs d’explorer de nouvelles pistes et de se faire plaisir. Leur travail, réalisé sur plusieurs années, a été jalonné d’échanges par intermittence, de changements d’humeurs et de remises en question. Tous cela a sans aucun doute façonné ce premier album et lui a conféré cette âme si personnelle et originale. Cette façon de faire n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’expérience de Ben Gibbard avec The Postal Service où les échanges de fichiers de musique se répétaient sur plusieurs années. Ces différentes tentatives ont été couronnées de succès et EL VY ne fait pas défaut à la règle.
Il est important d’indiquer qu’EL VY n’est pas un The National bis. En réalité, dès les premières notes de Return To The Moon, chanson qui introduit et donne son nom à l’album, on en est très vite convaincu ! Cette chanson est à des kilomètres des compositions de Trouble Will Find Me, de par son ambiance enjouée et très pop. La musique est plus claire et moins pesante, et en réalité, lors des premières écoutes, on est presque surpris d’entendre la voix incomparable de Matt Berninger sur ce genre de composition. La qualité intrinsèque de la chanson nous y fera revenir. Encore et encore.
Cela dit, même si d’une façon générale EL VY recouvre un son plus pop et enthousiaste, le chemin n’est jamais vraiment linéaire. Dès la deuxième chanson, I’m The Man To Be, l’ambiance change radicalement. Le son est plus tendu, plus lourd avec cette grosse basse en introduction. La voix de Berninger se fait plus traînante, le voile est plus mystérieux, plus sombre. Les arrangements dans cette chanson, comme dans la plupart des titres, sont renversants à souhait. Il n’y a aucune routine, les contretemps sont foison, on est surpris par des tournures inattendues, une fois vers l’obscurité, l’autre vers l’éclaircie.
L’excellente Paul Is Alive va prolonger le chemin tout en ramenant plus de légèreté par une guitare plus claire et sautillante. Brent Knopf, qui a composé l’ensemble des chansons, réalise ici un travail incroyable sublimé par les textes assez farfelus et étonnants d’un Matt Berninger qui écrit des histoires plus ou moins en lien avec sa propre vie.
On pensait déjà avoir atteint des sommets avec ces trois chansons, mais en réalité, EL VY poursuit l’escalade avec l’incroyable et touchante Need A Friend. Berninger y est époustouflant de justesse dans sa voix, la rythmique est parfaitement dosée et les arrangements impeccables, faisant apparaître ci-et-là des notes de piano ou autres instruments. La tension monte petit à petit allant jusqu’aux « Heartbreaking » tout en puissance et en contrôle du chanteur.
L’album connaît ensuite un passage moins marquant, mais comment faire autrement sans pour autant perdre en qualité. Les balades Silent Ivy Hotel, et No Time To Crank The Sun vont nous permettre de reprendre souffle. Toutes deux plus lentes et plus solennelles, elles n’en sont pas moins marquantes. Leurs refrains parfaitement maîtrisés prennent tout autant aux tripes que les premières compositions.
It’s A game poursuit, elle, dans ce faux rythme et est sans doute la chanson qui se rapproche le plus des productions de The National. Pour le coup, celle qui fait le plus défaut dans cet album. Ironie de la situation !
Il était donc grand temps de reprendre les choses en mains et avec Sleepin’ Light, pas de place au doute : c’est la véritable perle de l’album, cette chanson ne peut faire que l’unanimité. Son introduction impeccable et tout en douceur est rapidement porté par une guitare tout en maîtrise et globalement, par une ligne de basse qui de manière générale est un élément fort de l’ensemble de l’album. Magnifique composition.
La fin de l’album sera plus puissante. EL VY a décidé de passer au cran supérieur avec moins de tact et davantage d’énergie. Sad Case va être le fer de lance de cette partie plus heavy. Elle finira en apothéose et sur un crash rapidement enchaîne par la non moins énergique Hapiness, Missouri. Celle-ci gardera sa puissance tout du long et aurait très bien pu clôturer l’album.
Mais s’était sans compter sur Careless, qui reprend les choses où il les avait laissées It’s A Game, Berninger refaisant appel à « Didi » dans ses textes et retombant dans une certaine émotion qui fera une sortie idéale à cet album sans faute note.
Ainsi, les sentiments sont tiraillés, un coup joyeux et entraînants, l’autre lancinants et mélancoliques. Le chemin n’est jamais celui qu’on pensait suivre et les détours empruntés nous font découvrir des paysages qu’on aurait été déçu de ne pas voir… Arrivé à destination on a qu’une seule envie : repartir !
Avec ce premier album, EL VY réalise une percée fantastique qui ne nous étonne pas compte-tenu du talent de Brent Knopf et de Matthew Berninger. Passée la surprise d’entendre ce dernier chanter sur autre chose que du The National, on est tout de suite sous le charme de ces nouvelles compositions et on espère bien pouvoir entendre tout cela dans une salle de concert, n’en déplaise à certains…
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