IL est de retour ! Le grand Dieu de la Pop, David Bowie, revient en ce début d’année 2016, le jour de son 69ème anniversaire, avec son 28ème album studio. Beaucoup de données chiffrées mais la carrière du Ziggy Stardust, ou du Thin White Duke – appelez-le comme vous le voulez – est un modèle de longévité qui force le respect même si tout n’est pas vraiment merveilleux. Autant commencer négativement cette chronique, Bowie n’est plus un sacro-saint de la musique depuis au moins 35 ans et le splendide Scary Monsters…. And Super Creeps. Scandale ? Pas tellement car si on survole la carrière de l’icône anglaise après ce haut fait d’arme on ne retient seulement que quelques tubes confinés dans des albums plus que moyens (Lets Dance, Modern Love, Under Pressure), des tentatives aventureuses bancales mais qui confirment le statut d’avant-gardiste de l’homme venu d’ailleurs (l’Electro-Indus des stupéfiants Outside et Earthling), et c’est tout. Le dernier album de Bowie en date, The Next Day (2013), qui marquait son retour après 10 ans d’absence, singeait la cover mythique de Heroes mais n’en avait pas le dixième du génie. En fait sa carrière permet de déceler le mystère Bowie, la nature de son essentialité dans l’histoire de la musique.
En 49 ans, de David Bowie en 1967 au présent Blackstar, il connut « seulement » 10 années fastes, de 1970 à 1980, de The Man Who Sold The World à Scary Monsters… And Super Creeps donc. Une décennie où Bowie réinventa le genre de la Pop, reprenant le flambeau des Beatles, inventant presque à lui tout seul l’Art Pop (Pop sophistiquée), celle de Roxy Music, Talking Heads, Kate Bush ou Bjork. Ce fut surtout une période pendant laquelle il se plaça toujours en avance sur le reste de la production Pop, s’entourant des bonnes personnes (Ken Scott, Brian Eno, Tony Visconti…). David Bowie est un avant-gardiste dans l’âme ce qui fait que Hunky Dory, The Rise And Fall Of Ziggy Stardust, Aladdin Sane, Station To Station, Low ou encore Heroes sont des classiques indémodables et indétrônables. Même Scary Monsters fait de la New Wave avant son avènement. Lorsqu’il a voulu se fondre dans la mode du moment, il a chuté. David Bowie est le Yves Saint-Laurent de la musique, un visionnaire qui fait la mode, la façonne, cela va au-delà de son simple statut d’icône aux tenues extravagantes.
Blackstar n’est pas une œuvre d’avant-garde. Bowie en est-il encore capable ? Il y a certes des éclairs d’avant-gardisme au sein des sept titres que composent l’album, on pense notamment à la monstrueuse chanson éponyme qui ouvre le bal de la plus belle des manières. Cela fait-il de Blackstar une énième déception ? Bien au contraire, bientôt septuagénaire, l’ex-Ziggy Stardust semble enfin faire la musique qui lui correspond le mieux, ce vers quoi elle aurait dû se diriger après Outside et Earthling au milieu des années 1990. Une Pop semi-expérimentale aux structures écarlates, fuyantes, piochant dans les modèles dissonants du Jazz, de l’Indus, voire même du Hip Hop et de la musique électronique. De l’ « Anti-Pop » en somme. De la Pop et son envers en même temps, car ici, la musique ne cherche jamais à faire de mal à son auditeur, elle reste toujours aussi plaisante tout en nous entrainant dans une aventure que l’on nous n’avait pas encore contée.
David Bowie avait annoncé pendant la promotion de Blackstar que la règle n°1 était d’éviter à tout pris le Rock qui le suivait partout et était envahissant dans The Next Day. C’est justement ce qui décrit le mieux ce 25ème opus, un album de Rock mais fait différemment. Il s’agit de trouver une autre manière de le créer en produisant un effet similaire mais aussi un au-delà. Les titres de Blackstar sont donc des morceaux Rock mais pas seulement. Lazarus, deuxième single dévoilé cette automne en est le symbole. La batterie est puissante, la basse ronronnante, la guitare saturée mais le rythme est ralenti et on n’est pas surpris de l’apparition d’un magnifique solo de saxophone en lieu et place de cette dernière. L’ambiance Jazzy est redoublée par la voix fantomatique, extra-terrestre d’un Bowie vieilli mais qui sait comment utiliser cet instrument vocal altéré par le temps qui passe.
C’est justement ce dernier qui nous envoute dès les premières secondes du chef d’œuvre de l’album, Blackstar. Mis à nu en octobre dernier, le titre avait forte impression, en plus de son clip de S-F lynchienne, réalisé par Johan Renck (Panthers, la série dont le titre de Bowie accompagne le générique). Il faut dire qu’on nage pratiquement en un territoire inconnu où le britannique est notre seul guide. Coupé en trois parties, Blackstar est un pur morceau d’ambiance, lancinant, fantastique, voire psychédélique. Le saxophone, les arrangements électroniques et les cordes de Visconti – toujours présent celui là – rappellent une des œuvres sous-estimée du Thin White Duke, Station To Station, certainement sa création la plus enfumée. La première partie de la chanson fait l’effet d’une sorcellerie, elle met l’auditeur en état d’hypnose malgré la discontinuité entre la batterie survoltée et le reste très ralenti.
La deuxième partie, cœur du morceau, est une Pop dégénérée où se mêlent passages oniriques, aériens, et background vocaux sous hélium. Les instruments à vents se font moins serpentins, plus festifs. Le rythme s’accélère avant de s’effondrer dans la troisième partie, sorte de reprise de la première mais encore plus ralentie, plus incertaine et étrange. L’éclatante beauté de ce titre réside dans la manière dont elle fait ressurgir l’espace de 10 minutes le Bowie avant-gardiste qu’on croyait disparu. Un titre quasi-primitif mais pourtant sophistiqué, insaisissable, mystérieux qui se redécouvre à chaque écoute. On est loin du tube et cependant David Bowie vient sûrement de retrouver le rayonnement des Life On Mars, Heroes et autres Moonage Daydream. Pourtant à l’inverse de ses prédécesseurs, Blackstar ne connaîtra pas le même destin, l’embaumement radiophonique. Une audace qui montre la sincérité de l’approche de Bowie avec cet album et qui se ressent le long de ses sept morceaux.
Si la suite ne s’élève jamais à la grandeur de Blackstar, l’opus maintient une qualité musicale et une cohérence que l’on avait perdues depuis au moins Outside. Comme ce dernier, point de hits instantanés mais des morceaux vénéneux qui empoisonnent l’esprit de l’auditeur et dont il sera difficile d’en trouver l’antidote, à notre plus grand bonheur. C’est la classe monumentale de « Lazarus » ; le rythme désaxé de « ’Tis A Pity She Was A Whore » et ce magnifique accouplement reptilien entre le saxophone et le piano ; l’Indus mélancolique de « Sue (or In A Season Of Crime) » aux teintes Noise ; le chant halluciné de « Girl Loves Me » et sa rythmique presque Hip Hop ; les splendeurs lumineuses de « Dollar Days » accompagnée à la guitare acoustique, la ballade rétro synthétique « I Can’t Give Everything Away » qui réveille les souvenirs du mythique Low.
On pourrait converser pendant des heures de la réussite de chacun de ces titres qui font preuve d’un songwriting de génie. On pourrait aussi s’amuser à déceler où se trouve le travail de James Murphy (leader des géniaux LCD Soundsystem) sur les percussions de Blackstar, parmi tant d’autres collaborateurs archi-talentueux. Les textes de Bowie sont toujours aussi nébuleux, poétiques, mêlant noirceur et candeur de manière magistrale et finissent d’inscrire Blackstar dans le panthéon des meilleures œuvres de l’artiste. Une étoile noire qui rayonne et qui redonne vie à une carrière de manière rafraichissante et essentielle, joli paradoxe. Qui sait ? Peut être que Bowie initie là une nouvelle période faste de 10 ans ? À bientôt 70 ans ce serait faire preuve d’un panache dont lui seul semble capable. D’ici -là, David Bowie aura au moins retrouvé sa véritable place : tout en haut, parmi les étoiles.
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