La musique électronique a le vent en poupe, elle est omniprésente et prouve sa capacité à infiltrer les genres et, peut être, à les révolutionner. De la Pop au Hip Hop, en passant par le Rock, elle prouve qu’elle est bien la musique du XXIème siècle, et pourquoi pas du 3ème millénaire ? Aujourd’hui nul besoin d’un groupe ou de multiples instruments, on peut produire un hit avec simplement un ordinateur et un clavier. Presque cinquante ans après son arrivée dans la musique populaire via Tangerine dream, Kraftwerk ou Brian Eno, où se trouvent les nouveaux grands créateurs, les avants-gardistes du genre ? Si le retour en 2014 de Aphex Twin ramenait Richard D. James au goût du jour, il s’agissait tout de même d’une figure du passé, des années 90 plus exactement. Christian Fennesz, ou Prurient ont déjà plus de vingt ans de carrière, Tim Hecker et Ben Frost plus de quinze.
Pour trouver un artiste au talent dégoulinant capable de repousser les frontières de l’électronique et n’ayant pas encore fêté ses dix bougies, il fallait se rendre ce 25 février 2016 au Trabendo où, pour le compte du festival À Nous Paris Fireworks, Oneohtrix Point Never jouait les têtes d’affiche. Derrière ce patronyme à rallonge se cache un homme qui a très peu d’occasions de voir son nom au dessus des autres. Daniel Lopatin est un trentenaire issu du Massachusetts, État situé non loin de la frontière canadienne, au nord de New-York. S’il connaît aujourd’hui une renommée grandissante, cela n’était pas le cas jusqu’à 2011 et la sortie de son premier classique, Replica, à la pochette culte.
L’aventure Oneohtrix Point Never avait commencé quatre ans auparavant avec une musique digitale très inspirée par l’univers de la S-F, du jeu vidéo, de la télévision et par la culture Internet. Un art lorgnant beaucoup vers l’Ambiant de Brian Eno, tout en jouant sur la dissonance des sonorités synthétiques lui donnant un aspect Noise, par moments. En parallèle, il eut l’envie d’explorer d’autres passions musicales, comme celle qu’il porte pour les hits des années 80, s’amusant alors à les détruire puis à les remembrer, donnant alors directement ou indirectement naissance à d’obscurs sous-genres musicaux (la vaporwave, le label PC Music). Avec Replica, mais surtout R Plus Seven sorti en 2013, Oneohtrix Point Never complexifie sa musique, la modelant en une espèce de collage surréaliste, comme si chaque morceau était une mosaïque composée de carreaux de différentes natures et matières. La beauté du geste de Lopatin était alors de parvenir à créer de nouvelles symphonies digitales parfaitement audibles.
S’il venait nous rendre visite en ce mois glacé de février, c’est qu’il avait un beau nourrisson à présenter, sa dernière pièce maîtresse sortie en novembre dernier, le génial Garden Of Delete. Très inspiré par une tournée, en support des monstres de la scène alternative Nine Inch Nails et Soundgarden, il donne ici vie à une musique hybride, entre éclairs Pop et Rock, voire Metal et folies électroniques. Digne successeur de R Plus Seven, G.O.D. parvient avec surprise à rendre la musique de Lopatin émotionnellement forte et presque radiophonique, tout en restant hautement conceptuelle et moderne. A l’image du sublime Glassworks de Philip Glass, Oneohtrix Point Never sort un opus à la croisée des chemins, facile d’accès d’un côté, à la pointe de l’avant-garde de l’autre. C’est donc sans surprise que le set sera presque entièrement dédié à Garden Of Delete et dans une configuration inattendue puisque l’homme derrière les platines était accompagné d’un guitariste relié à de nombreux effets pour rendre l’aspect Rock de l’objet.
En première partie, les programmateurs avaient eu la bonne idée de faire se succéder deux noms peu connus de la musique électronique, mais au potentiel fort et représentant chacun une facette de Lopatin. Makeness incarnait la part plus Pop et dansante, tandis que Gigi Masin officiait d’avantage dans une veine Ambient et Minimale de club berlinois. Pour Oneohtrix Point Never, il fut installé deux écrans de chaque côté de la scène qui accueilleraient alors des images d’une bizarrerie extrême, dont il sera impossible d’en donner la teneur. Passeront des formes tantôt liquides, tantôt solides. L’ayant vu à la Gaieté Lyrique trois ans plus tôt, le doute était réel quant à sa capacité de retranscrire les émotions des albums studios, tant ce live fut décevant, sans réelle saveur. Mais, porté sous l’angle plus Rock de son nouvel opus, Lopatin se donnera pour ce concert au Trabendo des airs de Rockstar, s’aidant notamment d’un micro pour échanger des paroles d’une voix synthétisée, presque extraterrestre. C’est que le concept derrière Garden Of Delete y est propice. L’album raconte l’histoire d’Ezra, extraterrestre fan de la scène musicale des années 90 et qui monte son propre groupe alternatif, Kaoss Edge. Hautement parodique tout en étant réflexif, l’esprit de G.O.D. s’est ressenti durant tout le show.
Malgré un public globalement apathique, l’ambiance fut électrique – un comble – et ceci dès l’entrée en matière, avec l’immense I Bite Through It, chef-d’oeuvre du dernier album. Le break tout en guitare acoustique fut l’occasion de mesurer l’apport du musicien au concert. Une présence très intéressante, notamment sur les titres les plus puissants, comme Lift ou Sitcky Drama avec quelques jolis soli de guitares. Comme dans Garden Of Delete, le show alterna moments calmes, presque de sidération devant cette voix totalement déformée de Lopatin (sur Animals et No Good jouée en rappel) et les instants plus dansants (le très attendu titre à tiroirs, Mutant Standard qui prend tout son intérêt en live). Si on pourra toujours regretter l’absence de morceaux issus de la fantastique discographie de l’artiste, on pourra toujours se consoler sur la surprenante interprétation de Returnal issue de l’album éponyme. Quart d’heure presque céleste où toute la salle chantait en chœur ses paroles obscures.
Preuve, une fois de plus, que l’auteur avant-gardiste et underground a définitivement changé de dimension.
Note: