Midnight special : sous les allures de la SF, un très beau film de traque sur les difficultés de l’enfance et de la filiation
Midnight Special marque un tournant dans la talentueuse filmographie du jeune prodige américain Jeff Nichols. Auteur de 3 films immenses, Shotgun Stories, Take Shelter et Mud, le cinéaste signe ici son premier film de studio.
Produit par la Warner et présenté à Berlin, une certaine forme de fébrilité envahissait le cœur de ceux qui pensent que Jeff Nichols est sans doute l’un des auteurs les plus doués de cette nouvelle génération de réalisateurs américains.
Jeff Nichols ne déçoit pas. Au contraire, il signe sans doute son film le plus minimaliste, le plus radical, le plus tendu sous les apparats du film de SF cher aux studios américains.
Midnight Special est beaucoup de choses à la fois : un film de traque, un film de deuil, un film sur la croyance, un film névrotique sur une famille en pleine décomposition.
Un film de filiation aussi. Celle de ce jeune enfant différent (la révélation Jaeden Lieberher), doué de pouvoirs surnaturels, promis à une disparition certaine, mais aussi celle du cinéaste Jeff Nichols.
Souvent comparé à Terrence Malick dans sa capacité à faire de ses œuvres des manifestes profondément organiques et naturalistes, Jeff Nichols s’affirme ici comme l’un des cinéastes les plus à même de revendiquer l’héritage du nouvel Hollywood incarné par Steven Spielberg, Francis Ford Coppola ou John Carpenter sans se détourner de ses obsessions et d’un sens du story telling et de la mise en scène bien à lui.
Jeff Nichols signe paradoxalement avec Midnight Special son œuvre la plus personnelle, la plus profonde. Si Take Shelter était le film d’un homme qui s’apprêtait à devenir père, Midnight Special est celui d’un homme qui est devenu père.
Le film aborde la question de savoir si l’on peut croire dans un phénomène qui nous échappe.
Littéralement dans le film, celui des pouvoirs exceptionnels d’un enfant. Plus profondément dans l’intention du réalisateur, celui du phénomène de l’enfance même. Comment accepter de perdre le contrôle de votre enfant et comprendre ce qui est nécessaire pour lui et lui seul, jusqu’au sacrifice ?
Pendant près de deux heures, le film va être l’autopsie clinique de ce lâcher prise, de cet abandon, de cette acceptation par un père et une mère de s’effacer.
Alton (Jaeden Lieberher) est un jeune garçon doué de grands pouvoirs. Comme le veut l’adage de Spiderman, il a donc de grandes responsabilités. Alton fait siennes toutes les sources lumineuses et électriques qui lui donnent une puissance incommensurable. Jusqu’à faire s’écraser dans une scène hallucinante, un satellite sur une station service.
Si dans Take Shelter, le budget réduit du film obligeait Nichols à mettre les effets spéciaux en contrechamps des personnages, ici ils font pleinement partie de la mise en scène, sans compromis, avec une poésie subtile et un sens de l’effroi impressionnant.
Poursuivi par le FBI, la NSA mais aussi par une secte étrange nommée Le Ranch, Alton et son père Roy (Michael Shannon) accompagné de son ami Lucas (Joel Edgerton) tracent le bitume américain, envers et contre tous, pour permettre à Alton de réaliser ce qu’il doit réaliser (nous n’en dirons pas plus).
Le film est tendu et nerveux car ici les personnages ne se construisent que par les actions qu’ils mènent, les situations auxquelles ils se retrouvent confrontés. Ce qui est assez nouveau car dans ses autres films, Nichols prenait le temps d’exposer longuement ses personnages pour leur donner du corps et de l’intensité psychologique. Dans Midnight Special, la situation l’emportera toujours sur l’émotion.
Le film démarre dans une chambre d’hôtel où l’on retrouve Alton, Roy et Lucas avec en fond sonore une radio qui vocifère les faits divers de la région. De cette chambre jusqu’à la terre promise, le film ne va jamais dévier, même en intégrant Sarah, la mère d’Alton (Kirsten Dunst) et l’agent Paul Sevier (Adam Driver), personnage fasciné et en crise de croyance.
Il ne va jamais dévier jusqu’à s’autoriser à ne pas déplier des histoires au sein du film qui pourraient s’avérer passionnantes, notamment celle de cette secte effrayante contrôlée par Calvin Meyer (Sam Shepard).
On n’en saura donc jamais plus que ce qui nous est montré. Et c’est toute la puissance et le pari du film. La mise en scène et rien que le mise en scène au service d’une ambition narrative qui derrière la traque ose traiter l’impalpable, le sensible, les liens fragiles, l’humanité profonde.
Le film est une accumulation de scènes sidérantes. Bien sûr cette scène d’ouverture où l’on découvre Alton sous un drap, lunettes de piscine opaques et lampe torche à portée de main. Mais aussi ces balades sauvages, en voiture tous feux éteints dans une Amérique fébrile et craintive. Jusqu’à l’épilogue mystique, brutal, d’un noir opaque.
Le film repose aussi sur un casting impeccable. Adam Driver, Joel Edgerton et Kirsten Dunst rejoignent l’acteur fétiche de Nichols, Michael Shannon.
Avec Midnight Special, Jeff Nichols continue de creuser son sillon. Celui d’un cinéaste devenu indispensable.
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