DJ rare et talentueux, Pantha du Prince est de ces artistes à la patte unique, reconnaissable entre tous. Loin des beats fédérateurs de ses collègues berlinois, la musique du Hambourgeois s’habille des oripeaux aristocratiques de son patronyme. Mélange de Techno minimaliste et de House subtile et précieuse, elle pousse le savoir faire sophistiqué allemand dans ses retranchements. Après deux LP prometteurs, 2010 avait été l’année de la consécration avec un Black Noise prodigieux en forme de voyage aux Alpes suisses – la belle pochette de l’album nous emmenant bien loin de l’architecture citadine et portuaire de Hambourg. Ou alors était-ce le Haut-Tatras, ce massif slovaque transformé en sauvages et fantastiques Carpates dans le magnifique Nosferatu de Werner Herzog. Car depuis cet opus, la musique de Pantha du Prince s’est accaparée cette magie-là : se servir de la modernité de l’électronique pour déployer des univers intemporels, entre passés immémoriaux et futurs impensables. Six ans après, il nous revient avec The Triad, une œuvre qui aura mis le temps pour montrer le bout de son nez et qui – hélas – ne justifie pas totalement son interminable attente.
Ce quatrième joyau (parce qu’il reste avant tout très bon, malgré la déception) n’offre pas le même dépaysement que son prédécesseur. On navigue plutôt ici en mer stagnante, et chaque titre déploie le savoir faire et la joliesse inébranlable de la musique de Pantha du Prince. Il y a certes les beats plus dansants et transcendants de Lichterschmaus et Dream Yourself Awake, ou encore cette vision du tube propre au Hambourgeois, avec The Winter Hymn. D’autres se laisseront embarquer dans les rythmes lancinants et perpétuels de Lion Love et de You What ? Euphoria. Ou alors préféreront-ils la tentative plus urbaine – comme son nom ne l’indique pas – de Islands In The Sky ou la plénitude en forme de point final contenue dans Wallflower For Pale Saints.
The Triad est l’objet le plus organique produit par son auteur, et il tire sa musique vers quelque chose de neuf, tout en gardant sa singularité. La Deep House très prenante et plus directe de This Bliss s’est complètement diluée dans une myriade de sons labyrinthiques qui enveloppent et perdent l’auditeur. Ce sont surtout des bruits de carillons et de cloches – découverts par l’artiste deux années plutôt dans l’EP Elements Of Lights – parfaitement mixés, étirés, modelés qui forment un alliage improbable avec des beats plus classiques pour le genre. Mais la plus grande nouveauté de The Triad et qui travaille amplement son organicité au point de devenir charnelle, c’est bien la multiplication de voix. Pour le meilleur et pour le pire, car elles peuvent parfois paraître à contre-courant, ternes, en deçà du fourmillement général. À l’inverse, Panda Bear de Animal Collective apportait une étrangeté qui avait tout à fait sa place dans Black Noise.
The Triad n’a peut être pas grand-chose contre lui, mais c’est aussi ce qui fait sa faiblesse. Trop parfait et maîtrisé, il manque ce grand frisson ou l’émerveillement procuré par Black Noise. Et si chacun des titres est dénué de réels défauts, ils s’enchaînent néanmoins de manière assez anecdotique. Car c’est un fait, The Triad s’apprécie sûrement davantage par parcimonie, en écoutant un titre de manière isolée plutôt que dans son entièreté – ce qui faisait pourtant la force et la beauté de Black Noise. Finalement ce quatrième album s’écoute comme on goûte un bon vin : délicatement, sans accroc, avec un plaisir certain à la dégustation, mais dont on oublie hélas la saveur au fil du temps. Alors peut-être qu’en vieillissant, The Triad saura se métamorphoser en un grand cru et se révélera finalement à nos oreilles blasées. C’est tout le mal qu’on lui souhaite. Mais d’ici là, on aura réécouté Black Noise, ce beau millésime, une bonne centaine de fois.
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