Il ne s’arrêtera donc jamais ? Will Toledo, l’ex-membre unique du désormais groupe d’Indie Rock americain Car Seat Headrest est sur un rythme infernal depuis maintenant six ans. Ancienne étoile de Bandcamp (fameuse plateforme dédiée aux groupes musicaux pour partager leur musique, sorte de MySpace des années 2010), c’est une véritable success story après la signature chez Matador en 2014. Il faut dire qu’ils ont eu le nez fin, au célèbre label indépendant – Pavement, Yo La Tengo mais aussi plus récemment Savages ou Iceage – tant Will Toledo était une pierre précieuse qui nécessitait juste d’être polie ou plutôt, qui nécessitait de lui donner les moyens de son ambition artistique. Car des treize albums de Car Seat Headrest, Teens Of Denial est définitivement son plus brillant, son plus dense, bref son meilleur et il signe l’entrée dans la cour des grands.
Teens Of Style sorti l’année dernière, son premier opus sous Matador, avait légèrement déçu, du moins ceux qui connaissaient déjà l’artiste. Il s’agissait d’une compilation ré-instrumentalisée de titres issus des premiers disques digitaux du groupe. L’album avait cependant l’avantage de confirmer les capacités de Car Seat Headrest à évoluer dans un cercle plus ouvert que le DIY (Do It Yourself), tout en restant fidèle à lui-même. Des promesses qu’il fallait tenir en produisant de tout nouveaux titres. Teens Of Denial est en cela traversé d’une générosité monstrueuse (jusque sans sa durée : soixante-dix minutes !) et d’une volonté d’offrir une œuvre qui brasse différentes tentations réunies sous l’identité tenace du groupe. À savoir du Rock indépendant et énergique, lorgnant sur le Punk des 70’s, la Pop Rock teintée de Lo-fi des 90’s et une sophistication très moderne des compositions. Si vous aviez peur de vous lancer dans la déjà très ample discographie des Américains, vous trouverez en Teens Of Denial la parfaite rampe de lancement tant elle est l’œuvre à la fois la plus accessible, mais aussi la plus aboutie et représentative du groupe. À ne pas confondre avec un best of, car ici la bande fait un bond en avant très appréciable.
Car Seat Headrest is Will Toledo et Will Toledo is Car Seat Headrest. Pour reprendre l’esprit de la fameuse phrase qui orne la pochette du fabuleux Pretty Hate Machine de Nine Inch Nails – vous remplacez Toledo par Trent Reznor -, il faut savoir que l’artiste est la véritable âme du groupe. De son chant désinvolte qui rappelle un certain Stephen Malkmus de Pavement aux paroles personnelles – des tranches de vie, un peu de poésie aussi – Will Toledo inonde littéralement Car Seat Headrest. Cependant la présence de musiciens chevronnés, ceux qui le suivent depuis déjà plusieurs années sur les tours interminables du groupe, permet un éventail de possibilités musicales non négligeable.
Les titres les plus mémorables de Teens Of Denial sont donc ceux qui nous emmènent vers des ailleurs réjouissants. L’alternance ballade Rock intimiste et Pop aux synthés de Drunk Drivers / Killer Whales qui ouvrent une brèche menant aux eighties, est tout simplement vivifiante. Le titre est d’autant plus bon qu’il est suivi de près par un 1937 State Park puissant aux riffs et au rythme ravageur. Ce caractère imprévisible d’un morceau à l’autre est justement la force de Teens Of Denial. Tandis que l’absence de tubes n’est pas réellement un problème, même si on attend de voir l’art de Car Seat Headrest en la matière.
Le meilleur enchaînement de l’album est certainement celui qui lie les trois premiers titres, du semi-hit Indie Fill In The Bank à la longue, urgente et électrique Vincent jusqu’au morceau le plus « lourd » de Teens of Denial et son titre hilarant : Destroyed By Hippie Powers. Trois bombes que vient contrebalancer la Folk rocailleuse de (Joe Gets Kicked out Of School For Using) Drugs With Friends (But Says This Isn’t A Problem). Derrière son interminable intitulé, se cache l’une des meilleures pièces de l’album renouant avec ces tubes hybrides entre Pop et Grunge qui pullulaient à l’âge d’or des Weezer et consorts. Ce feeling nineties est très présent dans Teens Of Denial et un souffle nostalgique nous envahit à son écoute.
Difficile de trouver de réel point faible à cet ensemble très homogène donc, même si l’on regrette l’absence de véritables saillies. Peut-être est-elle à trouver chez l’épique The Ballade Of Costa Concordia, au nom très équivoque. Ses onze minutes nous font vivre un kaléidoscope d’émotions qui rappelle la grandeur du Death de Viet Cong, l’année dernière. Il est une sorte de pendant lancinant à la limite de la dépression – jusqu’à une deuxième partie où tout s’emballe – magnifiée par la présence d’un piano et de cuivres. Surtout, Will Toledo fait preuve d’une aisance vocale renversante. Un chef d’œuvre qui vient briser la légère monotonie dont se pare le final un brin longuet de Teens Of Denial. Ce treizième chapitre du roman Car Seat Headrest souffre donc d’un excès de générosité heureusement non rédhibitoire. On ne va pas bouder notre plaisir si le groupe sort un album du même acabit tous les ans ! À l’année prochaine ?
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