Depuis Metropolitan, son premier film, Whit Stillman n’a eu de cesse d’effleurer le matériau littéraire. L’influence d’un certain nombre d’auteurs, au nombre desquels Fitzgerald ou Tolstoï, imprègne son œuvre, qu’ils y soient ou non explicitement cités. Cette adaptation de Jane Austen, romancière évoquée dès Metropolitan, a donc tout d’un mariage d’amour. Rien de plus naturel que de voir le portraitiste d’une certaine jeunesse chic, excellant dans la comédie de classe sociale, transposer pour l’écran la grande auteure anglaise.
Avec Love and Friendship, Stillman retrouve les actrices des Derniers Jours du Disco, Kate Beckinsale et Chloë Sevigny, dans le rôle de Lady Susan et de son amie américaine Alicia. Lady Susan Vernon est une jeune veuve d’une grande beauté, connue pour tenter de mettre le grappin sur tous les bons partis masculins qui lui passent sous le nez. Elle cherche à engager sa fille Frederica dans un mariage de raison avec le riche mais stupide James Martin. Vagabondant d’une maison à l’autre, selon qu’on est disposé ou non à l’y recevoir, Lady Susan débarque dans la famille de Courcy en traînant derrière elle sa réputation de soufre. Elle va tenter d’y séduire le jeune Reginald, pourtant bien prédisposé à la détester. Lady Susan n’aime en effet rien tant que faire chavirer des cœurs a priori mal disposés à son égard. Mais c’est sans compter sur les sentiments de la jeune Frederica, horrifiée à l’idée du mariage que souhaite sa mère pour elle, va développer à l’égard de Reginald.
Love and Friendship, au premier abord, se distingue des films que Stillman a réalisés jusqu’à présent. Il adapte une œuvre littéraire pour la première fois – quand bien même il se réapproprie et modifie la trame du roman – et d’autre part, c’est son premier film d’époque. C’est aussi, sans doute, son film le moins flamboyant et c’est en cela qu’il est légèrement déceptif, car ici nul numéro de danse endiablé, nul bon tube disco n’est là pour animer le récit. La mise en scène ingénieuse, mais discrète s’éloigne de la voie de la stylisation que Stillman avait poussée au plus loin dans son précédent opus, ce Damsels in Distress tout en pastels et rose bonbon. Or, on ne peut que lui être reconnaissant de rejeter l’esthétique de pub pour Fortnum and Mason sur laquelle capitalisent souvent les adaptations de Jane Austen.
Mais malgré les apparences, nous sommes bien en terrain connu. D’emblée, un certain ton, une certaine couleur s’avèrent familiers aux habitués des films de Stillman. Qu’est-ce qui en fait le charme si caractéristique ? C’est que sous ses apparences si douillettes, ce cinéma possède quelque chose d’assez retors. Qu’il dépeigne une coterie de jeunes aristos new-yorkais, une boîte disco au début des années 80, un campus américain où se cultive l’art de vivre, autant de milieux où l’on se glisserait bien comme dans un cocon, Stillman n’oublie jamais de s’en moquer gentiment, nous en dévoilant les mesquineries, les coups bas qui s’y jouent. Et cela, sans qu’au fond le tableau en soit vraiment entaché. Au contraire, ce regard ironique – mais jamais méchant – du réalisateur sauve son cinéma de l’image d’Epinal, du chromo kitsch, et le maintient dans un permanent état de grâce. Quelque chose d’une extrême fragilité, qu’un rien suffit à briser : voir ainsi comment se disloque la brève utopie de la boîte de nuit dans Les Derniers Jours du Disco. C’est là que réside au fond la proximité – et la grandeur – que Stillman possède avec les romanciers tels Fitzgerald ou Austen. N’ouvrons-nous par leurs livres parce qu’il y fait si bon vivre, pour ensuite mieux savourer la mélancolie de ces jeunes gens tristes, mieux s’amuser de la naïveté des héroïnes ? C’est dans ce subtil alliage d’idéal et de cruauté que tout se joue. Dans l’art de regarder ses personnages avec humanité, les sauvant de la caricature – l’ennemi déclaré du cinéma de Stillman – sans rien perdre de lucidité.
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