Avec Free State of Jones, Gary Ross livre une tranche d’Histoire Américaine passionnante et se permet quelques fulgurances de mise en scène. Une bonne surprise.
Le film retrace l’épopée de Newton Knight (Matthew McConaughey) en pleine guerre de sécession dans le Mississippi. Alors qu’il décide de renoncer à un conflit auquel il ne veut pas participer, il prend la tête d’un groupe de paysans pauvres blancs et d’esclaves noirs en fuite pour se battre contre les états confédérés du sud, sans pour autant se rallier aux nordistes. Il devient le fondateur de la première communauté où les hommes, blancs et noirs, peuvent vivre ensemble, libres et égaux.
Sur le papier, Free State of Jones a tout du produit calibré prêt à rafler la mise aux Oscars. La Guerre de Sécession, un personnage christique et ambigu incarné par la star Matthew McConaughey, le tout en 2h19 de film « bigger than life » et « based on a true story ».
Free State of Jones est bien loin de tous ces a priori et fait partie des bonnes surprises présentées au 42ème Festival du film américain de Deauville.
On le doit sans aucun doute à Gary Ross, réalisateur du premier volet réussi d’Hunger Games. Le cinéaste sait naviguer dans l’eau trouble des studios. Il l’avait démontré en livrant contre toute attente un portrait fascinant d’héroïne par défaut, galvanisée par l’opiniâtreté. Il livrait une lecture moderne et assez noire de la société du spectacle.
Avec Free State of Jones, il présente la version en miroir du personnage de Jennifer Lawrence au travers de Matthew McConaughey, personnage trouble, à l’image contrastée aux Etats Unis. Vu par les uns comme un traître déserteur opportuniste, et par les autres comme un Robin des bois en opposition à toute injustice sociale, cette ambigüité, le réalisateur ne l’ignore jamais rendant le personnage de Newton Knight assez fascinant.
Il est d’ailleurs assez compréhensible que le cinéma de studio américain ne se soit jamais penché sur cette figure, cherchant toujours à faire porter les reconstitutions de l’Histoire Américaine par des héros emblématiques ne supportant aucune critique.
La réussite du film, on la doit aussi à son directeur de la photographie, le français Benoît Delhomme, au pédigrée allant de Benoît Jacquot à Anton Corbijn en passant par John Hillcoat ou Hideo Nakata.
La photographie irradie les trois parties du film en leur donnant une tonalité propre et crée des images absolument fascinantes.
Presque iconographique dans la première partie du film qui plonge le spectateur au cœur du conflit, elle devient complétement naturaliste dans la seconde lorsque Newton Knight constitue sa communauté au cœur des bayous insalubres transpercés de moiteur du sud profond américain.
Enfin, elle devient d’une noirceur opaque, jouant sur l’obscurité et l’incandescence dans sa dernière partie qui voit le Ku Klux Klan commettre ses premiers actes de tortures des libertés.
La direction d’acteur sert également le film sans réserve. Matthew McConaughey incarne Newton Knight avec une sobriété certaine en laissant transparaître ses failles et ses doutes et en s’affirmant aussi comme un leader charismatique prêt à toutes les défiances contre l’ordre établi.
Les personnages qui entourent McConaughey sont eux aussi parfaitement incarnés et donnent toute leur substance au film. Gugu Mbatha-Raw et Mahershala Ali en sont les principales révélations.
La première campant Rachel, une héroïne noire opprimée profondément féministe et qui devient la compagne de Newton Knight en bravant les préjugés sexistes et racistes.
Le second incarnant Moses, homme noir symbolisant la vision politique du film, car il est celui qui créera la première liste électorale composée de gens d’origine afro-américaines.
Le film trouve aussi une résonance très contemporaine en suivant en parallèle de l’action, le destin du fils blanc au sang noir de Newton et Rachel Knight quelques décennies plus tard. Destin qui le verra devoir renoncer à son mariage avec une femme blanche du fait de ses origines.
Free States of Jones scrute avec acuité les racines du mal contemporain et résonne particulièrement en ce moment en période pré électorale américaine.
Note: