Park Chan-Wook livre avec Mademoiselle un thriller féministe d’époque bien ficelé sur fond de lutte des classes et de saphisme.
Park Chan-Wook est un cinéaste clivant.
Certains lui reprochent sa grandiloquence et ses effets de mise en scène roublards et manipulateurs. Les autres voient en lui un cinéaste sauvage et libre repoussant les limites de son cinéma à chaque film.
Old boy, favori du président Quentin Tarantino, s’était vu dépassé in extremis dans la course à la palme d’or en 2004 par un vrai cinéaste roublard : Michael Moore et son Fahrenheit 9/11.
Depuis Park Chan-Wook fait figure de perdant. Ses films sont toujours attendus dans les grands festivals mais avec le goût de l’échec.
Mademoiselle n’échappe pas à cette rhétorique. Accueil froid, commentaires négatifs ont accompagné sa projection cannoise cette année.
Et pourtant Mademoiselle est une réussite si on le regarde pour ce qu’il est : un grand thriller sexuel névrosé.
Park Chan-Wook n’est pas grandiloquent mais virtuose. Le cinéaste respecte profondément la mise en scène et utilise tout ce que lui offre le cinéma pour mettre de l’intelligence et de l’ambigüité dans ce qu’il montre. Les travellings ne lui font pas peur, tout comme les panoramiques circulaires, les effets de zoom ou les ralentis et jeux de flou.
Il n’est par ailleurs pas plus manipulateur que peuvent l’être Brian de Palma, Paul Verhoeven ou Alfred Hitchcock. Il joue avec le découpage de ses films et la position de sa caméra et conçoit ses films comme de gigantesques jeux d’échec où chaque élément est parfaitement positionné et millimétré.
Aucune liberté n’est donnée aux acteurs ou aux équipes techniques. Le cinéaste est dans l’hyper-contrôle. Il n’y a de libre et de sauvage que le résultat de ses films souvent transpercés par des fulgurances d’hyper violence ou de sexe frontal.
Finalement, il est davantage un cinéaste de l’implosion et du malaise. Il conçoit des systèmes et les détruit de l’intérieur.
C’est tout le sel de sa trilogie de la vengeance et de son nouveau film Mademoiselle, cousin éloigné du Bound des frères (sœurs) Wachowski.
Mademoiselle se situe dans la Corée des années 30 alors colonisée par le Japon.
Sookee est engagée comme servante dans un sombre et gigantesque manoir auprès d’une riche japonaise Hideko, manipulée par un oncle voyeur et sadique qui en veut à sa fortune.
Sookee n’est pas là par hasard. Elle est l’émissaire d’un jeune escroc se faisant passer pour un comte lui aussi très intéressé par l’argent de la riche héritière. Elle devra rompre la relation qui existe entre Hideko et son oncle et entremettre un mariage entre l’escroc et la nantie avec à la clé une partie du butin.
Mais tout ne se passe pas comme prévu.
La vérité n’est jamais là où elle prétend être. Tout est jeu de dupes et faux semblants. Que cela soit ces aristocrates japonais qui sont en fait des Coréens naturalisés, les enjeux de vraie-fausse réconciliation entre le Japon et la Corée et plus encore le réel désir des personnages.
Au milieu de cet échiquier, Sookee et Hideko trouveront la rédemption par une passion amoureuse empreinte de fétichisme, de sexe, de violence et de jeux sadiques.
Le film est vraiment réussi dans ses scènes érotiques à la fois très crues mais aussi très cérébrales. Elles rendent le film toxique et créent le trouble dans la perception des enjeux. Il n’est pas aussi frontal que dans L’empire des sens ou La vie d’Adèle mais il érotise totalement l’acuité du spectateur qui se retrouve à douter de ce qu’il voit.
L’érotisation passe par les images mais aussi par les mots. Hideko se prête à des lectures libertines et blasphématoires devant des assemblées masculines à la portée terriblement pornographique.
On retrouve également d’autres motifs du cinéma de Park Chan-Wook : membres coupés, pieuvres visqueuses, vampirisme et surtout la vision très féministe du cinéaste arguant de film en film de l’inutilité des hommes face au pouvoir des femmes.
Adapté du roman britannique « Du bout des doigts » de Sarah Waters, Mademoiselle est résolument un film de Park Chan-Wook.
Note: