Après la tempête d’Hirokazu Kore-Eda, le portrait magnifique d’un perdant face au deuil de ses illusions. 

Ryota est submergé par le deuil.

Le deuil de son talent d’écrivain qu’il n’exercera sans doute plus jamais, le deuil de son père décédé, joueur maladif endetté et sans le sou tout comme lui, le deuil de sa vie de couple fauchée par un divorce vénal avec au centre un enfant déchiré par le conflit parental.

Ryota doit en somme faire le deuil de ses illusions. Celles qui, à un moment donné de sa vie, lui ont laissé penser que son destin serait linéaire et heureux nimbé de réussite et de reconnaissance.

« Tout le monde ne peut pas devenir celui qu’il voulait être » semble nous dire Kore-Eda.

La tempête est à la fois sous le crâne de cet homme et bien réel car un typhon s’apprête à balayer le Japon.

Alors que des pluies diluviennes s’abattent sur la ville, Ryota se retrouve enfermé dans l’appartement familial avec sa mère, son ex-femme et son fils.

Face à la pluie qui s’écrase sur les vitres et lacère la nuit et les terrains boueux, affleure la douleur, l’érosion chimique d’une famille qui tourne la page.

Au rythme des plats mitonnés, des conversations d’apparence, des regards qui se croisent, des peaux qui se touchent accidentellement, cette famille vit son dernier moment familial.

Et pourtant, après la tempête, vient la reconstruction. Celle des sentiments, d’une nouvelle utopie, de la vie qui doit continuer coûte que coûte, envers et contre tous.

Hirokazu Kore-Eda revient à une certaine forme d’épure, d’assèchement très mélancolique. Celle qu’il avait eu tendance à abandonner depuis Nobody Knows et Still Walking pour des feel good movies familiaux au minimalisme japonais plutôt réussis et teintés d’une émotion superlative.

Nous en sommes donc très heureux.

Après la tempête est sans doute le film qui ressemble le plus directement à son réalisateur.

D’une part, parce que le portrait de cette famille n’a jamais été aussi connecté aux épreuves de la vie traversées par Kore-Eda.

D’autre part, parce que la topographie des lieux, une cité HLM de la banlieue de Tokyo, est un endroit que le cinéaste connaît parfaitement puisqu’il y a lui-même vécu.

L’autopsie des liens familiaux est une thématique récurrente dans le cinéma du japonais, mais ici, elle puise ses racines au plus profond de l’histoire personnelle du réalisateur.

En effet, après la mort de son père à l’aube des années 2000, sa mère a elle-même commencé à vivre seule dans une cité HLM, alors que Kore-Eda était un tout jeune cinéaste.

Au-delà de l’émotion sèche que procure le film, le cinéaste ouvre une nouvelle page de son cinéma en faisant des lieux même du tournage, un personnage à part entière de son histoire.

Comme Ryota, la résidence elle-même n’est pas devenue ce qu’elle voulait être.

Alors que le Japon offrait ces nouveaux complexes modernes à ses habitants, pétris de rêves d’une nouvelle vie, ces résidences se sont délabrées au fil du temps et ses habitants ont vieilli avec elles.

Au fond, Kore-Eda montre l’isolement de ces lieux d’habitation comme une mise en abyme de la tristesse de ses personnages.

La photo, elle-même, embrasse les désillusions sourdes et la morosité de ses protagonistes se teintant de couleurs grises et beiges assez lointaines des images que le cinéaste nous avait données l’habitude de voir.

Après le passage du typhon, alors que la vie doit reprendre, le cinéaste filme magnifiquement les lieux où une herbe parsemée, verte fluorescente, assortie de rosée cristalline, transperce les gris opaques du béton.

De la même manière que les bouillons chers à la mère de Ryota doivent infuser toute une nuit pour révéler leurs saveurs, Kore-Eda prend au pied de la lettre ces recettes ancestrales comme une allégorie de son cinéma pour ouvrir quelque chose d’autre dans un épilogue poignant.

Le film, présenté à Cannes en 2016, n’était pas en compétition officielle mais sélectionné à Un Certain Regard.

Rien de plus légitime pour ce film qui offre le regard profond d’un cinéaste touché par le souvenir et une mélancolie dévastatrice.

Après la tempête est un film résolument singulier et absolument majeur dans la filmographie du japonais.

Note: ★★★★☆

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