Inhabitable cathédrale
Voilà quelques années que nous surveillons Denis Villeneuve, grand réalisateur sans chef-d’œuvre, qui nous divertit brillamment à chaque salve sans jamais parvenir à pousser totalement les curseurs. À quinze ans, il découvre Blade Runner, œuvre marquante de la science fiction des années 1980, dépassant l’objet pop par une réflexion transhumaniste digne et une atmosphère dense. Évidence, trente-cinq ans plus tard, que cette nouvelle rencontre entre un homme et une œuvre en quête d’ultime consécration et dont le potentiel définitif ne demande plus qu’à jaillir.
Prenant les devants, Denis Villeneuve battit alors Blade Runner 2049 tel une cathédrale. D’un scénario précis, il tisse chaque plan avec une application chirurgicale. Tant en quantité qu’en qualité, tant dans la composition que dans le choix des lumières, son ahurissante capacité à produire des images s’applique à chaque instant. Obsédé par son travail d’orfèvre, Villeneuve en vient à oublier l’essentiel, pourtant sujet de son film : en faire émaner la vie. Ainsi, sa rutilante machine progresse à mesure qu’elle se désincarne, à l’image de cet amour artificiel inspiré de Her, faisant corps avec une femme de chair, pour une scène dont l’érotisme intellectuel ne se fera jamais sensuel.
Chaque personnage semble en effet figé dans cette inhabitable cathédrale qu’est Blade Runner 2049 et l’on ne s’étonne alors pas que le plus mauvais acteur de sa génération (au jeu toujours plat et égal, qu’il évolue dans Drive ou dans La La Land) ait été choisi pour incarner l’un de ces ectoplasmes au charisme facile, acquis à force de déambulations lentes, de regards vides et de lignes de dialogues chuchotées d’une voix monocorde, comme pour marquer la tétanie d’un Villeneuve qui, s’il osait les animer, craindrait immédiatement le kitsch et la vulgarité.
L’on pourrait alors prendre le parti de contempler le nouveau non-chef-d’œuvre de Villeneuve à la manière d’un ensemble d’irrespirables tableaux dont la facticité se ferait l’écho d’un monde peinant à présent à situer son souffle et son humanité, mais cette trop grande facilité à réduire la forme au profit d’une cohésion avec le fond ouvrirait la porte à moultes paresses auxquelles nous ne concéderons pas. A défaut, accepterons-nous la radicalité d’une œuvre à la beauté plastique formelle impeccable et capable, dans le marasme actuel, d’un retour au calme et à la lenteur, par endroits tarkovskien. Nous adhérerons aussi à une rencontre entre deux âges, offrant en toile de fond les réminiscences d’une homo-festivalité qui a échoué, mais c’est alors ici que nous choisirons de prendre un parti, celui d’Harrison Ford droitant trois fois et sans succès un Gosling impassible, celui de la vie qui s’époumone et se bat face à la mort qui attend qu’elle abdique.
Note: