Curling ou la vie qui glisse…
Le curling est ce » sport » (?) anglais bizarre où des gens font glisser des pierres sur la glace pour atteindre une cible au bout d’une piste en s’aidant de balais : plus zen, tu meurs ! Curling, le dernier film de Denis Côté, réalisateur canadien (très) indépendant née au Nouveau Brunswick (province à 40% de population francophone), parle de ces gens qui se laissent glisser en silence sur la vie comme des pierres sur la glace.
Avant d’être cinéaste, Denis Côté est d’abord journaliste/critique de film qui s’est parallèlement mis à la réalisation de courts métrages à partir de 1997. Il est resté critique jusqu’en 2005, dates à laquelle il réalise son 1er long métrage. Son ton et sa façon de filmer sont fortement teintés par une solide cinéphilie.
Denis Côté est un auteur habitué de l’humain nordique qui perd le nord, qui se déboussole. Déjà dans son premier long métrage, Les Etats Nordiques (Léopard d’or à Locarno), il racontait l’histoire d’un homme qui « euthanasie » sa mère avec un oreiller et qui part en direction du Grand Nord pour fuir, se fuir et… retrouver le Nord. Il est aussi question de cela dans Curling.
Le film raconte l’histoire de cet employé à mi-temps d’un bowling et d’un motel déglingué d’une petite ville des environs de Montréal dont l’ex-femme est en prison et qui éduque lui-même sa fille, non par conviction politique, mais par une incompréhension du monde extérieur qui les relèguent tous deux à la solitude, à la misanthropie et au silence. Le film pose la question » Comment vivre hors de l’agression du monde sans s’annihiler, sans devenir inhumain, sans se perdre ? » Denis Côté regarde, scrute et sonde l’âme de ses personnages dans une mise en scène (Meilleur réalisateur, Locarno 2010) où l’image parle sans dialogues superflus : l’hiver omniprésent, reflet de leur désolation intérieure, l’ineptie des lieux (bowling, pavillons de banlieue, motel, centre commercial), portrait du vide qui les entoure et dans lequel ils ont (à raison) peur de tomber.
Les personnages évoluent dans un monde tout ce qu’il y a de plus ordinaire mais qui leur apparaît incompréhensible ou absurde : « ils se demandent inconsciemment comment être au monde » dit Denis Côté. Et même quand l’extraordinaire se glisse dans leur champs de vision, ils en restent détachés, contemplatifs ou incompétents. La scène ou la fille découvre « un tas de cadavres congelés » au milieu des bois est emblématique de ce détachement du monde : n’importe qui irait sur l’heure avertir la police où ses proches mais elle, elle s’assoit et observe dans un silence sacré comme on le ferait d’une sculpture que nous ne comprenons pas mais qui nous fascine. Mais c’est aussi en s’échappant de son monde sécurisant, la maison, où tout est paralysé dans une routine effroyablement réglée, qu’elle découvre qu’il y a un autre monde que celui-là.
Même confrontation à la mort quand le père écrase par accident un piéton sur la route, désemparé, sa réaction est de le cacher plutôt que d’appeler les secours. Le personnage est évidemment secoué par cette mort qu’il a donné à un autre être humain mais il est totalement irréaliste et incapable d’accepter cette réalité.
La crainte de la mort, la peine d’amour, l’absurdité de la vie, il y a là tous les ingrédients d’un désespoir sans retour et… pourtant, Denis Côté, au contrario de Lars Von Triers, croit en la rédemption des gens ordinaires : quand on glisse sur la glace, il y a toujours quelqu’un pour vous relever, il y a les autres humains qui savent que le ridicule ne tue pas… toujours.
C’est très subtilement, par petites touches de rencontres que les personnages évoluent vers la lumière, vers le coeur de la cible. Le film est porté par la justesse de ton des comédiens, tant Jean-François Sauvageau (Emmanuel Bilodeau, personnage principal, prix du meilleur acteur au Festival de Locarno 2010) et Julyvonne Sauvageau (Philomène Bilodeau), sa fille dans la vie et le film. Les seconds rôles sont aussi très consistants : que ce soit le propriétaire très western et très beauf du bowling, Roc Lafortune, la serveuse du snack et maîtresse gothique de Roc Lafortune, Isabelle, Le proprios du motel ou Rosie, l’ex-femme emprisonnée, chaque rôle à sa fêlure, son décalage avec le monde qui leur donne profondeur et chair.
» L’absurdité est surtout le divorce de l’homme et du monde « , disait Albert Camus. Dans Curling, les humains jouent ensemble à vivre sur le terrain glissant de l’existence.
Curling sortira le 26 octobre 2011.
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