Jon face aux vents est un film sur la vie des Samis, qu’on a trop longtemps appelés Lapons, peuple qui vit de l’élevage du renne au nord de la Scandinavie. Mais dire seulement cela du film de Corto Fajal est totalement réducteur. Au contraire des Ushuaïa, Thalassa, Faut pas rêver et autres reportages faits à grands coups de « On prend l’avion, on y va, on filme et on montre de l’exotisme aux téléspectateurs », Corto Fajal, respectueux des millénaires d’histoire de ce peuple, laisse le temps au temps, à la parole et à la vie. Ce film, plus qu’un simple regard sur une curiosité, un survol, est au coeur du coeur de la vie des Samis. Pour une fois, on ne nous montre pas des indigènes avec des plumes dans le cul qui font une petite danse en « costumes traditionnels » pour le plaisir (et le réconfort) des » civilisés » que nous sommes. C’est le point essentiel du film : comment être moderne et rester humble, non conquérant, face à notre environnement, notre terre.
Rappelons qu’historiquement, leur façon de vivre entre nomadisme et sédentarité est à l’origine de toutes les sociétés humaines modernes telles qu’on les connaît. Il y a des milliers d’années, l’humain, grâce à ses fines observations de la nature, est passé de chasseur-cueilleur à éleveur-agriculteur lui permettant d’avoir le loisir de réfléchir sur sa condition, d’inventer et… de créer. Ce qui différencie les Samis de nos sociétés, c’est qu’ils n’ont pas oublié cette relation au naturel, ce qui est dû à la nature.
Le film, pourtant tourné sur le mode de l’ethnologie observatrice, révèle plein de surprises et de renversements des clichés que nous avons sur les « tribus autochtones ». Dès les premières images, nous sommes estomaqués : Jon (prononcez younne) n’est pas un « esquimau à la peau tannée et aux yeux bridés », mais un beau grand blond qui pourrait rivaliser avec les top-model d’une publicité de haute couture (sa femme est à l’avenant). De fil en aiguille, nous découvrons que ces « sauvages » le sont moins que nous, qu’ils savent la place qu’ils occupent dans la nature sans pour autant refuser la technologie dans ce qu’elle a de pratique pour l’amélioration des conditions (très extrêmes) de leur vie. Soit, ils élèvent des rennes (le mot n’est pas juste, ils suivent, en les dirigeant parfois, les troupeaux de rennes dans leurs naturelles migrations saisonnières), dans ce climat ingrat mais, sans renoncer à leur mode de pensée traditionnelle, utilisent motoneiges, vêtements de « ski », talkie-walkie et hélicoptère ! Tout cela n’intervient pas dans leur relation à la nature qui les entoure (filmée magnifiquement par Corto Fajal), ni à la modestie qu’ils ont face à elle, ni à leur grande humilité quant à leur propre personne.
Corto Fajal donne à voir et à entendre leurs réflexions sur le monde dans la simplicité d’un face-à-face amical auprès d’un feu, au cours des transhumances, à la maison ou au refuge. Toujours auprès d’eux, le réalisateur s’est fait passeur, les laissant exprimer ce qu’ils sont. Simplement, tout y est passé en revue, avec légèreté et profondeur à la fois : la vie en communauté, le réchauffement de la planète, la nécessité de l’art, la religion, l’amitié, la … vie ! Dès lors, cette échelle humaine, ce « regardez, écoutez, ils ne sont pas si différents de nous » fait effet de miroir, renvoie notre regard de l’écran, vers notre propre nature humaine, notre universalité en tant qu’habitant éphémère de cette planète.
Le choix d’inscrire le film dans la chronologie des saisons participe de cette immersion totale dans un univers qui, du coup, nous devient familier, car c’est le rythme de la terre où nous vivons tous. La fraternité est d’évidence l’affaire de tous les humains. La nature, grandiose et hostile, est toujours filmée dans le rapport qu’entretien ces humains avec elle : les êtres, bêtes et homo sapiens, ne sont que de petites taches sombres sur ce grand fond blanc. Images immédiatement comprises, sans besoin d’explications : nous sommes tout petits face à cette immensité et à cette beauté du monde. Le film le dit sans pérorer, sans donner de leçons.
Même quand il s’agit du réchauffement de la planète, le personnage principal, qui subit ces changements climatiques au quotidien, n’en fait que la simple constatation : » Je ne suis pas un expert en climat, mais je vis dans la nature. Je vois les effets sur mon travail et sur les rennes » Il rajoute dans une autre scène : « Se battre est un luxe pour nous ».
Cette apparente neutralité devient paradoxalement très revendicative : le spectateur constate de lui-même qu’il se pourrait que ces milliers d’années d’une culture qui est aussi la nôtre disparaisse à brève échéance, qu’insidieusement, nos agissements pourraient tuer des innocents qui ne sont nullement en compétition avec nous, qui acceptent même d’utiliser nos technologies.
C’est là toute la force du film, il nous dit « Regardez ces gens pacifiques et sans prétention, vos choix de vie pourraient les balayer comme les vents de l’apocalypse ».
Sortie nationale le 30 novembre
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