Pas étonnant que Gaspar Noé s’octroie un bonus entier sur le blu-ray de Schizophrenia, tant le film de Gerald Kargl semble avoir eu une influence décisive sur le réalisateur. Des mouvements de caméra complexes à la voix off reprise à l’identique dans Seul Contre tous où Philippe Nahon récite une logorrhée verbale malsaine et d’une violence inouïe, Schizophrenia est une «œuvre séminale» pour reprendre les termes de Gaspar Noé qui a aussi inspiré d’autres cinéastes majeurs. Kristof Kieslowski pour Tu ne tueras point, John Mc naughton pour Henry, portrait of a serial killer ou Michael Haneke pour Funny Games, autant de films qui nous font également partager l’expérience intime de la violence en suivant des criminels agissant gratuitement, d’une façon froide et méthodique. Schizophrenia est plus méconnu car interdit dans de nombreux pays depuis sa sortie, il bénéficie du statut de film culte qui fait fantasmer les cinéphiles curieux et adeptes d’expériences ultimes. Grâce à Carlotta, il est désormais possible de (re)découvrir cette œuvre dérangeante et jusqu’au-boutiste, à la faveur d’un blu-ray techniquement irréprochable et rempli de suppléments.
Schizophrenia suit le parcours d’un tueur qui dès sa sortie de prison, s’introduit dans une maison pour en décimer ses habitants en faisant partager au spectateur son expérience d’un point de vue à la fois physique et mentale. La mise en scène recourt à une caméra dite «assujetie», c’est-à-dire fixée à l’acteur grâce à un harnais pour adopter sa vision. Seul le visage est fixe dans le cadre tandis que les éléments environnants sont en mouvement, voire distordus. L’effet d’identification met mal à l’aise, d’autant plus que la performance d’Erwin Leder va très loin dans la folie : il grimace, éructe, vomit quasiment face caméra, sans que nos yeux puissent éviter ce spectacle nauséabond. Gerald Kargl opte également pour d’immenses mouvements d’appareils, horizontaux à la steadycam et verticaux à la grue. La caméra peut ainsi s’élever du ras du sol à des altitudes impressionnantes, avant de redescendre à hauteur d’homme pour suivre les agissements du tueur, avec des plans très longs qui n’évitent aucun détail sordide de son parcours meurtrier.
Comme s’il ne suffisait pas d’imprimer la rétine du spectateur avec des images aussi dérangeantes, le film nous fait également entendre un long monologue qui explique les origines des pulsions meurtrières du personnage principal et comment il est devenu un monstre sanguinaire. Traumas d’enfance, vexations, humiliations, punitions corporelles, démission parentale, passages en institutions, le passé du tueur justifie sa haine de la structure familiale et le massacre dont nous sommes témoins. Le discours obéit à une certaine forme de cohérence et de lucidité, contredisant la frénésie des images : le tueur est organisé, il a un plan, il veut tuer en faisant souffrir un maximum ses victimes, il sait qu’il ne peut pas échapper à sa logique meurtrière qui est la seule chose à lui procurer du plaisir. Le score composé par Klaus Schulze, figure emblématique du krautrock, ajoute encore au sentiment de malaise, avec une musique électronique fondée sur des rythmes répétitifs anxiogènes (Gaspar Noé fera une autre utilisation du son en utilisant dans ses films des fréquences d’ultra basses utilisées par les brigades anti émeutes pour disperser les manifestations). Schizophrenia est un film indispensable pour qui veut tester ses propres limites, il ne pourra pas être enduré par tout le monde car il laisse des traces, et doit donc être réservé à un public très averti. Vous voilà prévenus !
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