A bord du Darjeeling Limited est précédé d’un court-métrage intitulé Hôtel Chevalier qui met en scène le personnage de Jack, génialement interprété par Jason Schwartzman. Loin d’être un ajout inutile ou une simple afféterie, il est au contraire le complément nécessaire au long-métrage qui suit, un prologue indispensable en forme de petit chef d’ouvre de douze minutes. On reproche souvent au cinéma français de se complaire dans le psychologique au point d’avoir créé un sous-genre des atermoiements amoureux : le film de chambre de bonne qui symbolise le manque d’ambition et l’étroitesse de notre cinéma hexagonal. Pourtant, avec un argument simple (un couple séparé se rencontre à nouveau) et un lieu unique (une chambre d’hôtel), Wes Anderson réinvente le genre du drame intimiste grâce à une mise en scène en état de grâce absolue – les panos latéraux chers au réalisateur, l’utilisation du ralenti -, une utilisation des standards pop des années 60 imparable (le morceau Where do you go to my lovely de Peter Sarstedt résonne longtemps à l’oreille du spectateur bien après la projection) et une direction d’acteurs hors-pair (avec une Nathalie Portman revenue du tournage de V pour Vendetta, crâne rasé). Hôtel Chevalier et A bord du Darjeeling Limited, s’ils peuvent être considérés comme deux entités indépendantes et donc être vus séparément, gagnent cependant à être visionnés en continu, car le court métrage apporte des éléments extra contextuels que le spectateur prendra plaisir à décrypter (le papier en-tête sur lequel Jack écrit sa nouvelle, l’Ipod qui diffuse le morceau de Peter Sarstedt, l’apparition de Nathalie Portman buvant son bloody Mary, etc.).
La suite est du même niveau, pour qui est sensible à l’univers singulier du cinéaste, dans lequel A bord du Darjeeling Limited s’inscrit naturellement. Le spectateur se retrouve en terrain familier, avec une famille d’acteurs qu’on retrouve de films en films, cet humour décalé qui mélange le comique et le tragique dans le même instant, une mélancolie qui traverse l’œuvre de part en part, une élégance formelle avec des parti-pris photographiques très forts et une accessoirisation tenant lieu de caractérisation des personnages – le bandage d’Owen Wilson fait pendant au béret de Jason Schwartzman dans Rushmore, au bandeau de tennis de Ben Stiller dans La famille Tenenbaum et au bonnet rouge de Bill Murray dans La vie Aquatique -. Mais ce qui détermine le plus le cinéma de Wes Anderson, c’est son obsession de la cellule familiale en faillite incarnée ici par trois frères embarquant pour un voyage initiatique en Inde afin de se réconcilier, suite au décès de leur père. Le train, s’il a de façon explicite une fonction psychologique dans l’évolution du parcours intime des personnages, ne conduit cependant pas le film sur des rails tout tracés. Car si dans la première partie, les trois frères reproduisent à l’identique le mode de fonctionnement qui les a séparés (Francis, l’organisateur, imprime même un planning plastifié pour que chacun respecte le programme et invente des rituels auxquels chacun doit se conformer scrupuleusement), il faudra que le train se perde pour que l’inattendu surgisse sous la forme d’un enterrement traditionnel. Ces funérailles symboliques d’un petit Indien mort par noyade, sont aussi l’occasion pour les trois frères d’enterrer le souvenir du père et leur propre enfance dont aucun n’est réellement sorti. Une forme de passage à l’âge adulte en quelque sorte. Il faudra en effet que Jack, Francis et Peter réussissent le rituel de la plume de paon et jettent derrière eux les lourds bagages du père décédé pour quitter leur statut d’éternels adulescents et acceptent leur condition d’hommes.
A bord du Darjeeling limited, disponible en dvd (20th Century Fox)
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