Si on comprend la gêne des producteurs à vendre un film aussi inclassable que ce Bons baisers de Bruges, cela ne justifie cependant pas le contresens d’une affiche qui joue la comédie décalée ou la bande-annonce qui insiste sur une filiation tarantinienne, voire laisse supposer un ersatz du Snatch de Guy Ritchie ou du 51ème Etat. Bons baisers de Bruges n’est en effet rien de tout cela. Buddy movie non conventionnel, film nostalgique sur le spleen de deux tueurs à gage, visite guidée d’une cité médiévale dont les ambiances se répercutent sur le moral de nos deux héros, film noir aux gunfights économiques mais néanmoins efficaces, romance décalée, Bons baisers de Bruges est une œuvre protéiforme qui prend systématiquement le spectateur à contre-pied, l’amène là où il ne s’y attend pas forcément.
Martin McDonagh, qui écrit habituellement pour le théâtre soigne pour son premier film son décor, ses personnages et sa dramaturgie. La ville de Bruges, selon le lieu et le moment où elle est filmée, installe tour à tour une ambiance touristique, romantique, irréelle voire surréaliste grâce à son architecture particulière et son atmosphère hors du temps. McDonagh se joue des clichés touristiques en mettant en scène le passage obligé dans une chapelle où est censé reposer le sang du Christ et avec le personnage du caissier irascible du beffroi de la ville. Cette virée touristique est aussi le moyen de caractériser les personnages avec celui interprété par Brendan Gleeson, mature, calme et raisonné, qui vient en opposition à Colin Farrell, jeune, fougueux et impatient. Tous les fondamentaux du « buddy movie » classique sont posés, avec un duo d’acteurs que tout oppose, mais le film va se jouer de ces clichés et des développements obligés du genre. Car les deux tueurs se posent des questions sur la responsabilité, la culpabilité, le pardon, le pêché et la rémission dans une réflexion mélancolique qui fait pencher le film vers la noirceur plutôt que vers le comique de situation (façon L’arme fatale). C’est surtout l’occasion pour Colin Farrell, qu’on a connu davantage excentrique, de livrer une interprétation toute en nuance, car miné par un secret qui lui pèse.
En effet, si le film donne parfois l’impression de s’égarer, de prendre des tours et des détours qui pourraient perdre le spectateur, McDonagh sait exactement là où il veut en venir. On se demande ainsi longtemps ce que vient faire là cet acteur nain qui tourne en ville un remake de Don’t look now (1973, avec Donald Sutherland). McDonagh nous refait-il le coup de Ça tourne à Manhattan en se payant lui aussi la tête de David Lynch ? Pas du tout. En citant explicitement le classique de Nicolas Roeg, grand film sur la perte et le deuil d’un enfant, le réalisateur nous donne la clé et sa véritable intention. Il clôt le film dans une séquence à la fois surréaliste et onirique, qui nous fait dire qu’il s’est bien joué de nous, de nos attentes et de nos certitudes. Essai transformé.
Bons baisers de Bruges, disponible en dvd et blu-ray
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