Quentin Dupieux poursuit l’exploration de son univers absurde et loufoque. Avec Rubber, il avait prétexté le pitch le plus invraisemblable – un pneu serial killer – pour se lancer dans une sorte de pensum post moderne sur le cinema indépendant contre l’industrie hollywoodienne, avec mise en abîme des spectateurs dans le film, réflexion sur la narration et le point de vue assez indigestes. Il passait surtout à côté du potentiel purement jouissif et ludique de son sujet au profit d’un objet bouffi de prétention et finalement pas très aimable. Rien de tout cela avec Wrong, le réalisateur ne change pas fondamentalement son fusil d’épaule, filmant la contamination du réel par le bizarre dans un premier degré imperturbable. C’est ici l’absence d’un chien qui crée le décalage dans les situations et instaure une atmosphère tantôt comique, tantôt angoissante, sans que la frontière entre les deux ne soit parfois aussi claire qu’il n’y paraît.
Quentin Dupieux donne toujours cette impression de procéder d’une écriture en mode automatique, de style « marabout – bout de ficelle », où une idée en appelle une autre, où la narration se construit comme on déroulerait une pelote de laine, par association d’idées, jeux de mots, de rimes ou simplement de façon intuitive. Avec dans tous les cas, l’intention manifeste de prendre systématiquement le spectateur à contre-pied, en créant un écart entre une situation attendue et celle qu’il choisit de mettre en scène. Ainsi, dans Wrong, le palmier du jardin se transforme en sapin sans qu’on sache pourquoi, la fille de la pizzeria tombe amoureuse de vous et quitte son mari au premier coup de fil, il pleut sans discontinuer dans les bureaux où va travailler Dolph – le personnage principal -, un inconnu peint en bleu les voitures rouges et en rouge les voitures bleues. Inutile d’y chercher un sens, ce qui semble intéresser davantage Quentin Dupieux, c’est de convoquer des sensations plutôt que de susciter des interprétations.
On pourrait en effet tout au plus voir en Wrong un fil sur la solitude de l’homme moderne. Le comportement d’Emma, la vendeuse de pizza, qui cherche un compagnon comme un chien son maître file également la métaphore canine sans qu’on sache si c’est réellement voulu. C’est là la limite du cinéma de Quentin Dupieux, voire son côté vain et stérile. Dans ce grand bric-à-brac régi par le hasard, le premier effet de sidération passé, on comprend bien que n’importe quoi peut advenir, et alors ? L’exercice est ponctuellement rigolo, notamment quand un détective privé lancé à la recherche du chien perdu invente un appareil sensé faire revivre de façon subjective le caca du toutou sur un moniteur. On pense à David Lynch et aux Monthy Python, certes, mais dont on n’aurait gardé que les gimmicks de façon stricte et mécanique. Quentin Dupieux est un excellent cadreur, il a une science très affirmée du plan, de sa géométrie, de la lumière. Il sait filmer des gueules de cinéma mais à force de vouloir donner la liberté au spectateur sans rien affirmer d’autre que son propre univers, il finit par se regarder filmer. Et tourner en rond en se reniflant le cul.
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