De nos jours tout va très vite. On court après le métro, le scoop, l’amour, contre le temps, contre courant ou encore contre les autres. Bref, on n’a plus le temps pour rien. On stresse pour tout et rien et on ne prend plus le temps de prendre le temps, comme aurait pu le dire Jean Louis Aubert à nouveau…
Avec Suuns, on est bien dans l’ère du temps. Figurez-vous qu’en deux albums en autant d’années, le groupe canadien a fait sa place au sein de la scène indie rock, rien que ça. Exagération, sans doute, car il ne remplit pas le Stade de France (est-ce vraiment un gage de qualité ?), mais il y a du vrai là dedans.
La scène de Montréal est donc toujours très active depuis la percée phénoménale d’Arcade Fire, mais elle démontre aussi à quel point elle est pointue et variée. En partant de Godspeed You ! Black Emperor pour arriver au très sautillant groupe Islands, on voit bien la richesse et l’inspiration que peut procurer un climat un peu rude.
Suuns est donc un descendant de cette scène sans pouvoir réellement y trouver une filiation. Non. On percevra bien plus facilement des points communs avec les anglais de Clinic qui sortent aussi, comme par hasard, un album en 2013 ! Mais ça, c’est une autre histoire ! Littéralement encensés par les critiques et le public, il y a maintenant 2 ans, les Canadiens de Suuns avaient forcément plus à perdre qu’à gagner en livrant leur deuxième opus. A force de vouloir s’appeler Zeroes, ils auraient pu sombrer vers la bulle ! Il n’en est rien et c’est finalement leur premier opus qui s’appellera de la sorte. Suuns est un groupe têtu car, pour la petit histoire, et si l’on parle thaï ,on finira par savoir que Suuns veut finalement dire Zéro. Il n’y a donc pas de lien avec le soleil, et franchement quand on écoute leur musique, c’est évident ! A l’époque, l’album Zeroes QC avait fait l’effet d’une bombe dans le petit monde élitiste du rock indépendant. Porté par des compositions aussi imparables que peuvent l’être Arena ou Armed for Peace, on était frappé par la liberté, par un son unique et tranchant dans le vif, sur ce qui se faisait et qui d’ailleurs se fait toujours aujourd’hui.
Il est vrai que Suuns fait partie de ces groupes où il vous faudra plusieurs écoutes avant d’en apprécier la véritable valeur. D’un premier abord très brutal, c’est écoute par écoute qu’on finit par se laisser définitivement séduire, non pas par habitude mais grâce à un gout de reviens-y qui vous traîne dans la tête quand on appuie sur le bouton off de la platine. Et puis il suffira de les voir un jour en concert pour être certain qu’on tient-là un groupe à part. La prestation de Suuns à la Route du Rock session hiver en 2011 aura tellement mis tout le monde d’accord, que le groupe sera invité à se produire également la même année sur la session été du festival malouin. C’est à ce jour le seul groupe à avoir pu le faire.
Pour en revenir à ce qui nous intéresse aujourd’hui, à savoir le nouvel album de Suuns, il faut bien se rendre à l’évidence qu’on n’est pas dépaysé. Au contraire. Suuns nous emmène encore un peu plus loin dans leur univers. Images du Futur est encore un peu plus sombre que son prédécesseur. Un peu plus exigent. Mais l’essentiel est là. On retrouve encore des gimmicks imparables, des sons bruitistes et entêtants, et les fameux rythmes envoutants. Certes, Suuns n’est pas un grand groupe mélodique, c’est sûr, mais avec quelques notes, une ligne de guitares, des rythmes saccadés, le groupe arrive à faire des compositions qui ne peuvent pas laisser indifférents. On ressent sur la dizaine de chansons présentées, toute la tension et l’urgence qu’avait procuré Zeroes QC. La chanson la plus révélatrice de cela reste sans doute Bambi, qui dès la première note donne le ton et dérange. Powers of Ten, chanson introductive, place d’ailleurs cette tension d’entrée avec son riff de guitare un peu sale.
Ceci étant, Suuns sait très bien être convaincant et plus accessible car dès la première écoute, on ne peut s’empêcher de remarquer Edie’s Dream avec cette guitare qui rebondit face à nous, et on ne peut pas laisser passer sans mot dire, Minor Work avec cette batterie imposante et hypnotisante. 2020 livre aussi une ligne de guitare qui étonne et retient l’attention.
Mais la vérité est ailleurs. L’album s’efforce de rester du côté obscur. L’ambiance est clairement moins énergique et dispersée, comme cela pouvait l’être sur Zeroes QC. C’est vrai qu’il ne s’agissait sans doute que de fulgurances sur ce premier album, mais des chansons comme Gaze, Marauder ou Sweet Nursery avaient pour effet de secouer un peu tout cela. Ici, les chansons les plus énergiques se font rares. D’ailleurs les deux titres de fin, notamment Images du Futur, imposent un son plutôt glacial. Le rythme est lent et surtout tenu sur la longueur. Music Won’t Save You, qui clôture l’album, ne rattrape pas la chose et sans doute est-ce un bon conseil à suivre ! Mais franchement quelle fin ! Voilà un finish tout de même qui laisse pantois, car hypnotisant, car interminable, car on y est bien, quoi ! Et voilà les gens qui rient, en plein milieu de Music Won’t Save You. On se croit perdu dans un rêve, on croit que ça ne finira jamais, on l’espère presque. On retrouve-là des tendances très Cure – époque Faith -, avec cette batterie qui martèle un rythme et où tout le reste n’est qu’un simple filet de son continu qui nous berce de façon plus ou moins sympathique selon notre état d’esprit.
Suuns livre un second opus dans la droite lignée du premier. Ben Shermie, chanteur du groupe, a encore cette voix lancinante, chuchote toujours des choses incompréhensibles, chante régulièrement la mâchoire fermée, il semble toujours habité et propriétaire d’un son et d’un univers. Cette façon de faire est aussi une des marques de Suuns.
Images du Futur pousse donc le bouchon un peu plus loin, et s’il ne déplait absolument pas, Suuns, comme beaucoup d’autres groupes avant lui, devra sans doute prendre un virage un peu plus radical pour la suite s’il ne veut pas s’auto-parodier. C’est bien tout le mal qu’on lui souhaite. En attendant, il reste à profiter d’une tournée qui débute et se poursuivra tout au long des différents festivals de l’été. Il n’y a pas de raison de ne pas se laisser tenter !
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