Avec une quarantaine de films au compteur et une multiplicité de genres représentés dans sa filmographie – des films d’aventure, policiers, de guerre, des péplums, de l’heroic fantasy, du western, des comédies -, on pourrait aisément qualifier Richard Fleischer de yes man d’Hollywood. Outre ses qualités certaines d’artisan et d’honnête faiseur de séries B, le Monsieur a également réalisé quelques grands classiques qui ont démontré davantage qu’un simple savoir-faire, mais qui ont aussi fait la preuve qu’il était un véritable auteur à part entière, capable d’apporter une réelle vision sur les genres auxquels il a contribué. Carlotta édite simultanément deux films qui permettent de valider ce constat. Le premier, Les inconnus dans la ville est une œuvre plutôt atypique. Par son format, tout d’abord, inhabituel du film noir, puisqu’il a été filmé en Cinémascope et par l’utilisation du procédé en couleurs De Luxe préféré au noir et blanc classique à ce type de production. Les inconnus dans la ville est aussi surprenant dans sa manière de faire le crossover entre le film de braquage traditionnel – préparation, exécution, suite – et l’étude des mœurs d’une petite ville caractéristique des Etats Unis des années 60.
C’est ce deuxième aspect du film qui est le plus intéressant dans Les inconnus dans la ville : la façon dont l’arrivée de braqueurs et le casse d’une banque agissent comme révélateur de tout ce qui est souterrain, caché ou non-dit chez les habitants. Ils mettent au jour les histoires d’adultère, de maris alcooliques, de désirs contrariés, de petits larcins, à travers une galerie de personnages qui en fait une sorte de film choral avec tout ce que cela implique d’intrigues multiples, de liens entre les protagonistes et de cohérence globale. Richard Fleischer réussit à concentrer ce microcosme qui a valeur universelle dans un format court et nerveux, grâce à une mise en scène efficace et qui va à l’essentiel. L’un des premiers plans du film est signifiant du procédé mis en place : lorsque l’un des étrangers arrive dans le bourg, la caméra le suit dans sa descente du bus, il passe devant la banque dont le directeur ouvre les rideaux. La circulation des personnages se fait à la fois dans le mouvement, mais également dans le cadre – centre et périphérie, premier et second plan – qui regorge d’informations.
L’étrangleur de Boston, quant-à lui, est le premier film à avoir utilisé le procédé du split screen, qui a ensuite été systématisé au cinéma, notamment par Brian De Palma – Phantom of the paradise, Pulsions, Blow out, Snake eyes, etc. -, dans les séries télé – 24 heures chrono – et la dans publicité. Richard Fleischer ne s’en sert pas comme d’un gadget, mais vraiment d’une façon qui permet de dynamiser la narration. C’est d’autant plus utile dans le cadre d’un film-dossier, avec un nombre important d’informations à communiquer au spectateur. Adapté d’une histoire vraie – la traque d’un tueur en série en 1963 -, le film suit dans sa première partie l’enquête policière colossale pour mettre la main sur l’assassin. Le dispositif du split screen multiplie les cadres à la fois pour créer la tension – la scène de meurtre de la mamie ouvrant sa porte à l’étrangleur -, provoquer des ellipses dans le récit sans en ralentir le rythme – l’arrestation simultanée des maniaques sexuels -, mais surtout, pour créer un sentiment vertigineux d’insécurité et de paranoïa collective à l’échelle de toute une ville. L’étrangleur de Boston, comme Les inconnus dans la ville dépasse alors largement le statut de film policier pour livrer une photographie précise de la société américaine du début des années 60 – les mœurs, la mentalité-, traumatisée par la mort de Kennedy.
A la moitié du film est seulement révélée l’identité de l’assassin, à la faveur d’un mouvement de caméra qui annonce la schizophrènie du personnage. La caméra fixe une scène domestique ordinaire : une femme prépare le repas dans la cuisine tandis que joue une petite fille. Puis elle effectue un panoramique dans le salon pour se fixer sur le visage de Tony Curtis qui assiste à la retransmission télévisée de l’enterrement de JFK avant de sortir commettre un nouveau méfait. Tout est dit de façon audacieuse sur la double personnalité du tueur – bon père de famille et assassin – et sur le refoulement de ses actes meurtriers. Ce second acte n’est plus celui de l’analyse d’une procédure de police, mais un portrait psychologique clinique et froid d’un malade schizophrène, qui prend d’ailleurs une position courageuse sur la solution à apporter face à de tels criminels. Tony Curtis y est absolument impressionnant, à la fois dans sa façon d’inspirer une terreur brute, mais aussi dans son côté tragique. Richard Fleischer joue alors avec la notion de reflet, pour signifier le double et d’échelle pour dire l’isolement du personnage qui ne parvient plus à communiquer avec sa femme et sa fille. Il ne faut donc pas rater ces deux œuvres essentielles de Richard Fleischer, dont William Friedkin dit le plus grand bien dans les bonus. Un argument supplémentaire s’il fallait s’en convaincre.
Les inconnus dans la ville, disponible en dvd et blu ray (Carlotta)
Note:
L’étrangleur de Boston, disponible en dvd et blu ray (Carlotta)
Note: