Il aura fallu plus de 20 ans pour que la plus belle arlésienne de l’histoire du rock moderne prenne fin. Depuis 1991, My Bloody Valentine était resté silencieux, achevant une carrière au sommet de sa gloire avec la sortie de l’album Loveless, résolument l’un des albums majeurs de l’histoire du rock indépendant. Et dire que dans tout ça, aucune annonce de séparation n’a été faite et que rien ne laissait supposer à l’époque qu’il faudrait attendre douze longues années pour finir par entendre une nouvelle composition de Monsieur Kevin Shields. La BO du formidable film Lost In Translation, contient bel et bien des inédits de Shields, dont City Girl.
En réalité, rien de cela n’était vraiment prévu. Kevin Shields traversa une période où rien de ce qu’il produisait ne le satisfaisait. Ce stand by permettra à My Bloody Valentine d’entrer dans la légende.
Il faut dire que le temps ajoute son effet dans le culte qu’on voue aux Irlandais et à son leader en particulier. Le silence crée toujours des envies, et les rumeurs sont allées bon train. Les fans absolus du groupe ne savaient plus vraiment qui croire, au point qu’ils ne croyaient plus rien. C’en était presque devenu une blague.
Alors quand en 2007, on entend passer l’info d’une reformation, on a peine à y croire… Mais rien ne viendra finalement. Enfin pas vraiment… Kevin Shields et sa bande sont des personnes un poil perfectionnistes. Du genre à passer dans un vingtaine de studios différents pour enregistrer et tester les compositions, à utiliser des heures et des heures de bandes pour trouver le son juste, bref le genre de groupe à envoyer leur label à la banqueroute pour l’amour du détail ! Creation Record, à l’époque de Loveless, a bien failli y passer. Seuls les Happy Mondays peuvent rivaliser à ce petit jeu ! Ce genre de fonctionnement explique pourquoi en 2007 il ne s’est rien passé, car leur nouveau label a fini par refuser de continuer à dilapider le sonnant et trébuchant dans un album qui ne venait pas.
Alors, sans ressources supplémentaires, une véritable annonce à été faite cette fois-ci. Une tournée aurait lieu, signant le retour sur scène d’un des groupes les plus respectés des années 90. Durant 2008 et 2009, My Bloody Valentine sera tête d’affiche des plus prestigieux festivals du monde. Le groupe engrangera ainsi suffisamment d’argent pour venir à bout de sa nouvelle ambition : sortir un album. Kevin Shields avait retrouvé la flamme créatrice depuis 2003 – et cette fameuse BO -.
On n’expliquera donc pas pourquoi il aura fallu attendre encore quatre ans pour enfin voir sortir du bois les neuf chansons qui composent M B V.
My Bloody Valentine se présentait donc récemment dans la superbe salle du Bikini. A l’entrée, on nous propose ostensiblement des bouchons d’oreille. Les gens ne rechignent pas. Il faut dire qu’on était prévenu. Les Irlandais ont la réputation de jouer fort, très fort. Et ce n’est pas une rumeur. Certains d’entre-nous s’en souviennent encore.
Dès que l’on pénètre dans la salle, la tension est déjà palpable dans l’air, les esprits s’échauffent, on s’impatiente de voir enfin de nouveau l’un des groupes les plus influents de la fin du siècle dernier. La salle se remplit doucement, mais assez étonnamment, il restera de l’espace pour les éventuels retardataires. Les années passent, les réputations restent, mais il faudra de la curiosité à la jeune génération pour se laisser tenter par le rock de papa. Le public accuse une moyenne d’âge plus élevée qu’à l’accoutumée.
Les lumières s’éteignent et voilà qu’arrive Bilinda Butcher, autre grand monument de My Bloody Valentine, suivie par l’inévitable et impressionnant Colm O Ciosoig s’installant derrière sa batterie. Debbie Googe avec son style sombre n’est pas en reste. Kevin Shields apparaît ensuite dans un style on ne peut plus classique, si ce n’est ses traditionnels cheveux longs. Et nous voilà donc partis pour un concert mémorable.
My Bloody Valentine attaque d’entrée dans le vif, lance directement l’un de ses titres phares, avec une assurance qui laisse penser qu’ils auront quoiqu’il arrive de la matière pour satisfaire le public, sans avoir à patienter pour entendre leurs tubes. I Only Said sans doute l’une des chansons les plus importantes de Loveless, aura l’honneur de débuter et de faire bouger les foules. Pas de round d’observation donc, d’autant que le groupe enchainera par When You Sleep, autre titre hautement marquant d’une époque aujourd’hui adulée.
Que dire d’une telle entrée en matière ? Nous retrouvons un son impeccable qui, certes met les oreilles à rude épreuve, mais qui retranscrit fidèlement les sensations que l’on a ressenties à chaque fois que le disque tournait sur nos platines. Seul bémol : les voix ne ressortent pas du mur de son balancé à la figure du public. Dommage pour la voix de Kevin Shields. Non pas qu’elle soit particulièrement magnifique, mais c’est un élément qui manque sur certaines chansons. Bilinda Butcher s’en sort un peu mieux.
Bilinda Butcher, principale voix du groupe, aura gardé tout le long du concert une impressionnante posture. Derrière son micro et sa guitare – qu’elle torture régulièrement -, elle se tient toute droite regardant le public continuellement avec un regard à la limite de la tristesse. C’est de la compassion que l’on discerne plus particulièrement, telle une déesse ayant pitié de son peuple, mais qu’elle punit de leurs péchés, envoyant les décibels directement là où ça fait mal.
On est donc frappés, dans tous les sens du terme, par la prestation scénique de My Bloody Valentine. Les années n’ont donc pas altéré la qualité intrinsèque du groupe. Et c’est peu dire, puisque les nouvelles compositions – dont New You, qui prendra la suite des deux titres de Loveless – arrivent largement à la cheville des titres majeurs. Voilà une chanson qui marquera par sa qualité le dernier opus du groupe : la basse rebondissante de Debbie Googe, les interruptions des lignes et la voix de Bilinda Butcher… De quoi faire un titre imparable. Avec Only Tomorrow, on retrouve-là les deux pièces maitresses de leur album. Certes, les chansons de M B V ne seront pas toutes du même calibre, mais l’ensemble se tient franchement très bien.
Mais My Bloody Valentine ne va pas jouer uniquement ses titres les plus connus, bien au contraire. You Never Should sera la quatrième chanson du concert. Issue de leur premier vrai album Isn’t Anything et Honey Power, elle, est carrément extraite du mini EP Tremolo, sorti dans la même année que Loveless et qui contient aussi Here To Knows When, joué ce soir. Cigarette In Your Bed provient du mini EP You Made Me Realise, morceau qui clôturera de façon grandiose le concert. Preuve s’il en est de la richesse du répertoire de My Bloody Valentine qui ne s’arrête pas à l’album de 1991, ni au précédent.
Les incontournables seront tout de même de la partie, avec Only Shallow, mais surtout Soon, véritable pépite qui clôture Loveless et qui sera un des moments forts de la soirée, tant elle prend les gens aux tripes, les emporte vers d’autres rivages, avec son entrain et son coté virevoltant. Mais l’autre moment fort provient de You Made Me Realise, qui cloturera le set et produit sur scène un incommensurable mur de son – à la limite du supportable – que le groupe prendra plaisir de faire durer au delà du raisonnable. Tant visuellement qu’acoustiquement, il fallait prendre la mesure de ce qui se passait. Le titre renvoie à une réalité toute simple : les oreilles ont souffert et il faudra plus d’une journée pour se délester du son aigu et permanent dans la tête.
Un concert d’exception offert à son public, tout en prenant le temps, notamment pour Kevin Shields de partager des moments sympathiques et décontractés. La manifestation de l’envie d’être de nouveau sur scène qui fait plaisir à voir et regretter d’avoir attendu si longtemps.
A quand la fin de la prochaine arlésienne du rock ? L’album solo de Robert Smith, suite à la séparation des Cure ? La dissolution des Rolling Stones ? Le retour de Ride ? Le nouvel album des Pixies ? La réconciliation de New Order ? La reformation des Smiths ? Après tout, Portishead est bien revenu, les Pastels ont bel et bien sorti un nouvel album…
Désormais tout devient possible. Avec plus ou moins de bonheur, en revanche.
Note: