What’s Next ?
House of Cards (*), la série événement de NETFLIX ne fait pas seulement date pour son cast de rêve (David FINCHER derrière la caméra, Kevin SPACEY et Robin WRIGHT devant) et la qualité de son arc narratif : c’est la première fiction de cette ambition produite sans les networks et financée par un pure player du web. Et après ?
Les vraies révolutions sont silencieuses. Mais une fois le nouvel ordre établi, on mesure combien rien ne sera plus jamais comme avant. Cet hiver, la fiction américaine a vu l’ancien monde s’écrouler comme un « château de cartes » (littéralement House Of Cards). C’était le 1er Février 2013, exactement. Ce soir là Netflix a « diffusé » -mis en ligne, plus précisément- la série la plus attendue de l’année. A cet instant, tout a changé…
Pas en raison de l’intrigue. Ni des personnages ou des rebondissements. De ce point de vue, le propos d’House Of Cards n’innove en rien, si ce n’est par son ambition. On y verra, selon son humeur, la face obscure de The West Wing, la série politique absolue d’Aaron Sorkin, ou, plus classiquement une relecture moderne des tragédies antiques.
Le staff idéaliste et passionné qui entourait le Président Jed Bartlet dans l’aile Ouest de la Maison Blanche imaginée par Sorkin est loin. Très loin. Le décor d’House of Cards est le même, mais la comparaison s’arrête là. Dans la série de Netflix, l’intérêt général n’est pas encore tout à fait une insulte, mais l’évoquer fait naître quelques sourires à peine retenus. Pour peu aimable qu’il soit, le système de valeurs ici convoqué a le mérite d’être revendiqué… et cruellement vraisemblable.
Francis et Claire Underwood campent un couple glaçant. Lui, influent « whip » démocrate, un poste qui n’a pas d’équivalent Français, une sorte de super-parlementaire animé dans cette première saison par une soif de revanche : il n’accepte pas une disgrâce du Président fraichement élu et n’aspire qu’à se venger… et à viser plus haut, encore. Elle, Présidente d’une puissante association humanitaire qu’elle dirige comme la plus inhumaine des multinationales. L’ambition, la soif d’influence et de pouvoir cimentent leur relation, sans jamais être caricaturales. L’Amour, s’il a un jour été là, ignore l’Absolu. Trop dangereux. S’aimer, c’est prêter le flanc. C’est bon pour les Faibles. C’est prendre le risque de perdre de vue le sommet, le seul objet de désir des Underwood.
Aucun chamboulement des codes narratifs classiques d’une série moderne, donc, mais une exécution brillante de cette grammaire là. Chaque scène est sous contrôle. La caractérisation de chaque personnage, du plus important au plus insignifiant, touche à l’excellence. Tous prennent vie sous la plume subtile de Beau Willimon, l’auteur principal des dialogues et des intrigues. Le jeu du pouvoir. Les luttes d’influence à la Maison Blanche et au Congrès. Les lobbies. L’art de la manipulation des forts comme des faibles : rien n’échappe à son expertise presque clinique. Comme dans The West Wing, le talent du scénariste à vulgariser est inouï : rendre simple un système politique d’une complexité folle ; captiver le public comme le ferait un bon polar d’été, mais sans jamais cesser de miser sur l’intelligence du spectateur… voilà un des secrets de la recette acide de ces premiers épisodes.
Mais ce que les créateurs de House Of Cards ont le mieux saisi, c’est la difficulté de la presse traditionnelle à se réformer à l’heure des pure players. Un site d’information sorti de nulle part peut s’avérer plus attractif pour les journalistes comme pour le public qu’un journal de référence. Les institutions ont encore des états d’âme et des pesanteurs qui les empêchent de prendre des risques et de négocier des virages trop serrés.
Si cette révolution de l’information est si finement décrite, c’est bien sûr parce ce qu’elle fait écho au statut même de la série. House Of Cards révolutionne le monde de la fiction et de l’Entertainment comme Slugline dans la série ébranle le Washington Herald…
A l’évidence, c’est bien dans son mode de production, sa diffusion et les perspectives qu’elle ouvre que la série de Netflix rebat les cartes. Contactés pour participer au Développement et acheter la première saison de la série, les principaux networks américains (HBO, CBS, NBC …) n’ont pas fait le poids face à la souplesse et à la détermination de Netflix. Comme le dit Dave Fincher lui même : « avec 30 millions d’abonnés qui payent 10 euros par mois, l’argent est là »… Sauf que jusqu’à présent, cet argent rémunérait une prestation technique. Des tuyaux. Une plateforme digitale. La disponibilité d’un catalogue de vidéos à la demande. Netflix a coiffé tout le monde au poteau en comprenant que son métier changeait profondément. Que la primeur et l’exclusivité des contenus était seules capables de la différentier de ses concurrents. Qu’il fallait investir dans la production propre. Un mouvement simple à décrire mais critique à impulser : les jobs n’ont rien à voir…
Et le génie de Netflix est là, précisément ! Laisser faire ceux qui savent et apporter sa valeur ajoutée pour doper l’expérience utilisateur de ses abonnés. Concrètement ? La plateforme a délégué à Fincher toute la partie artistique. A la différence des networks qui ont le souci de tout contrôler, Netflix n’est jamais intervenue dans le développement du show. Une fois le cast verrouillé, d’un niveau inouï pour un show TV, seule la date de livraison des épisodes était décidée par le diffuseur. Pour sécuriser les producteurs, Netflix leur a assuré un confortable budget de plus de 100 M $ par saison et a signé, avant même la livraison du pilote pour deux saisons. Aucun network n’a jamais osé cela.
Mais cette confiance n’a rien d’un pari fou, au contraire. Netflix savait que la série avait toutes les chances de plaire : les algorithmes qui tournent en permanence sur les données d’utilisation de la plateforme digitale montraient que les films de Fincher étaient les plus appréciés par les fans de série et que Kevin Spacey était l’un des acteurs les plus « consommés ».
Et cerise sur le gâteau, la diffusion elle même a innové : les 13 épisodes ont été mis en ligne d’un coup, le 1er Février. Plus besoin de teasers, de clifhangers ni de faux suspens pour tenir en haleine d’un épisode à l’autre. Netflix avait observé que le public consommait les séries ainsi. La plateforme le satisfait, quitte à se priver d’un buzz qui dure sur 13 semaines…
S’adapter au public, Netflix sait faire. Qui se souvient qu’il y a quelques années, le champion digital était essentiellement un service postal de location de DVD ? S’affranchir des dogmes, se réinventer et miser sur l’excellence des contenus, du marketing et et des technologies, c’est son métier.
Alors… What’s next ? Au lieu de redouter le pouvoir des algorithmes et des dollars, mieux vaut se réjouir d’une nouvelle donne qui rend possible l’impensable. House Of Cards prouve qu’un réalisateur de cinéma peut produire et diriger des épisodes destinés à la TV sans renier sa signature visuelle sombre et vénéneuse. Contenus on et off line ; télévision et cinéma… Les frontières, les grilles de lecture usuelles, voilà le véritable château de carte qui s’effondre ! De nouvelles forteresses, comme autant de nouvelles formes de fiction vont émerger. Si elles affichent le même niveau d’ambition, qui s’en plaindra ?
Mais il faut s’attendre à de nouvelles formes, encore inconnues, qui feront le pont entre tous les écrans. En raison des ventes internationales à des chaines traditionnelles qui doivent remplir leur grille, House of Cards respecte encore le format de l’épisode de 52 minutes, destiné à être visionné sur l’écran du salon. Pour combien de temps ?
(*) House Of Cards 13 épisodes / 52 mns sera diffusée par Canal + à partir du Jeudi 29 Août 2013
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