Drôle de paradoxe que la sortie en salles chez nous de Ma vie avec Liberace, là où le film n’a connu aux États-Unis qu’une diffusion télévisée sur le fameux network HBO, pour lequel il avait été commandé. Paradoxal car autant le pianiste iconoclaste est une star outre-Atlantique, autant il est en France quasiment inconnu, et pas seulement de la ménagère de plus de cinquante ans. Imaginons un instant un biopic de Gilbert Montagné sortir sur les écrans américains, on aura une idée assez juste de l’aberration des circuits de distribution, qui nous est plutôt favorable en l’occurrence. Car le film est à la fois le dernier annoncé par Steven Soderbergh – qui jure ses grands dieux qu’il prendra sa retraite de cinéma – et le grand retour de Michael Douglas après une longue traversée du désert dont on a du mal à dater le dernier bon film – serait-ce justement Traffic… de Steven Soderbergh en 2000 ? -. On n’ose pas imaginer que c’est la question gay qui ait fait obstacle à sa sortie U.S . hors de la petite lucarne, le peuple américain étant plutôt progressiste, n’est-ce pas ? Car après tout, qui était ce Liberace inconnu en nos vertes contrées ? Prenez un Elvis Presley en fin de vie, circa 70’s, celui affublé de capes et d’argenteries jouant devant un public de mamies naphtalinées en matinée à Las Vegas, dans une version boogie-woogie queer et décomplexée, et l’on aura une image à peu près exacte du Monsieur. Le film commence d’ailleurs en 1977, année de la mort du King et il faut bien ces marqueurs de temps pour dater un récit qui paraît irréel et déconnecté de toute époque.
Steven Soderbergh file d’ailleurs une double métaphore en sous-marin : celle, vampirique, du récit d’apprentissage d’un maître à son élève, avec l’isolement au monde, la vie nocturne, l’iconographie gothique associée, et celle, canine, qui fait de Matt Damon le toutou de son maîmaître avec la fourrure sur les épaules qui rappelle le pelage du chien de Liberace qu’il tente de sauver de la cécité au début du film. Pour le reste, la mise en scène reste en mode mineur, Soderbergh se reposant sur une direction artistique – décors, costumes – assez excentrique et qui préfère s’éclipser face à des numéros d’acteurs en mode superlatif. Question d’équilibre en quelque sorte, qui fait de Ma vie avec liberace non pas un film de mise en scène, mais de comédiens. Michael Douglas est méconnaissable, et joue tout en nuances un rôle qu’il aurait été si facile d’interpréter sur le registre du cabotinage. Jamais ridicule ni caricatural, à la fois tendre, fantasque, autoritaire et monstrueux sans son postiche, il est parfait, juste et inattendu dans un des meilleurs rôles de sa carrière. Il forme avec Matt Damon un beau couple de cinéma dans ce qui est avant tout un grand film d’amour sincère et décomplexé, avec ce que cela implique de prévisibilité dans le récit, attendu dans son alternance de registres – euphorie, jalousie, chute -. Liberace avait réussi jusqu’à sa mort à faire croire à son public qu’il était straight, à la recherche de l’âme sœur. Le film est aussi une jolie parabole sur le monde du spectacle, miroir aux alouettes factice et trompeur – on peut donc aussi le voir comme une œuvre ultime sur le cinéma – qui évite heureusement toujours le biopic nécrologique pour célébrer l’amour et la vie.
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