Bill Callahan fut longtemps ce bel étalon introverti, ce champion de la pop neurasthénique, ce barde pour happy few. C’était dans les années 90, puis durant les années 2000, lorsqu’il se produisait encore sous le pseudonyme de Smog. Mais en 2007, avec la sortie de Woke on a Whaleheart, il a délaissé son vieux pseudo pour enfin signer ses disques de son véritable nom. Un détail qui en dit long car depuis, ses chansons ne sont plus tout à fait les mêmes ; de son propre aveu, elles donnent plus de place à l’émotion, ont sensiblement évolué vers le registre de l’alt-country et, pour tout dire, sont devenues plus universelles. Epousant la courbe de cette évolution récente, son nouvel album s’inscrit dans la longue tradition de l’Americana et place un nouveau jalon sur le versant ombragé d’une généalogie qui se déploie souverainement de Johnny Cash à Vic Chesnutt et de Dylan aux Palace Brothers.

Si le Band, dans les années 60, interrogeait la notion de communauté, Bill Callahan, quant à lui, semble réduire la question à un débat plus intime. La véritable communauté, ici, c’est celle des amants, et le pays n’est plus évoqué en tant que terroir ou en tant qu’histoire charriant son lot de traditions mais plutôt comme un espace, un vaste paysage, dont les citoyens ne sont que des migrants, quand ils ne sont pas tout simplement des âmes perdues. Dream River, composé comme une suite de petits tableaux introspectifs, s’ouvre sur un décor à la Edward Hopper. Un homme est seul, dans un bar. Il commande des bières et rumine quelques pensées en attendant qu’un évènement vienne rompre sa solitude. Cet évènement, c’est le principal motif du disque, celui de toutes les chansons sans exception. Il prendra l’apparence de la confiance en l’autre (Small Plane), celle du sexe (Spring), ou celle de la rêverie sans limite (Seagull) ; en tout cas, il sera son unique sujet.

Tendrement, avec mélancolie, la voix de baryton de Bill Callahan se laisse glisser dans la rivière, emportée par le calme courant des violons, des congas, des flûtes traversières, escortée par la guitare et le jeu proprement fantastique de Matt Kinsey. Huit chansons seulement mais chacune mériterait une chronique. Sans compter les nombreuses questions qu’elles suscitent car on dit le chanteur peu bavard et plutôt austère mais, par exemple, que peut bien venir foutre Marvin Gaye dans un morceau (The Sing) fleurant la folk et la country et dans lequel, juste après avoir évoqué cette grande voix de la soul, on nous balance un vers à la Jimmie Rodgers ? Qui plus est, est-il bien raisonnable de chanter à sa promise, en plein milieu d’un refrain, qu’on ne pense qu’à une chose, c’est-à-dire la baiser dans la poussière ? Et soit dit en passant, ne serait-il pas légitime de voir en Seagullla mouette – une version très personnelle et légèrement iconoclaste de l’Albatros de Baudelaire ? Quelques questions parmi d’autres car, une fois de plus, Bill Callahan tire le songwriting vers le haut. Après, les fans de Charles pourront toujours contester ou maugréer, et voir d’un mauvais oeil qu’un simple chanteur pop puisse rivaliser avec les géants de la poésie, qui plus est française. Selon nous néanmoins, il n’y a pas à chipoter, ce disque est déjà un classique (de la platine universelle) et il n’a pas encore fait couler assez d’encre. Il ne finira peut-être pas sur la compil Lagarde & Michard, OK, mais il tournera dans nos cerveaux durant de longues saisons encore. Mélancoliquement, mais sûrement.

Bill Callahan – Dream River (Drag City/ Modulor)

Note: ★★★★★

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