Cette troisième journée officielle du festival du film coréen à Paris présente comme principale vertu le geste de proposer des films radicalement antagoniques en termes de style, ton et économie narrative. Incontestablement, et au-delà de la pauvreté ou richesse des films projetés, le FFCP fait montre d’un sens profond, spéculatif et rare de la programmation.
Le premier film de cette journée festivalière pluvieuse, Russian Novel de SHIN Yeon-shick, est issu d’une très longue tradition cinématographique (et par extension artistique) qui s’intéresse à la figure de l’écrivain maudit qui se place à l’intersection de sa propre mort et de l’éternité de son œuvre. C’est toujours un bon prétexte narratif pour disserter sur le vertige de la mémoire, sur l‘emboitement des différents régimes temporels (ceux de l’écrivain, de l’œuvre et de ses personnages) ainsi que sur la parole et le récit. Pour mémoire, et pour ne citer qu’un exemple massivement connu mais toujours passionnant, 2046 (2004) de Wong Kar Wai pensait plastiquement la matière du temps, l’instrument de base de l’écrivain et du cinéaste, en accordant une valeur infiniment poétique à des micro-instants qui perduraient et se déployaient dans le temps grâce aux puissances du ralenti.
L’argument formel avancé par SHIN Yeon-shick sur le concept indécidable du temps est celui de l’ellipse, de la lacune, du hiatus. Le personnage principal, un jeune écrivain, ayant raté sa tentative de suicide, sort du coma vingt-sept ans plus tard et découvre que son dernier manuscrit est devenu un chef d’œuvre, un monument. Le programme narratif présente tous les ingrédients nécessaires pour construire un film intelligent, aux possibilités figuratives et scénaristiques illimitées ; or SHIN Yeon-shick peine à élaborer un film qui devrait fondamentalement évoquer plutôt que démontrer, penser plutôt que dicter. Le bavardage du film éternise le discours et, pire encore, invalide l’image elle-même qui devient support sensible d’un ensemble, d’une saturation d’idées historiquement ancrées dans le champ de la philosophie littéraire. Le film ne se place jamais à l’intérieur d’une seule et unique idée afin de la développer mais se livre inutilement à la logorrhée conceptuelle. Lorsque l’image est prétexte, note en bas de page, le discours verbal se donne à l’évidence.
On pourrait faire le même reproche à South Bound de YIM Soon-rye qui s’adonne joyeusement, sur un registre intelligemment humoristique, à la critique du pouvoir. Un pouvoir qui est, logiquement, celui des néoliberalistes, d’un Etat anthropophage et d’une société conformiste et comatique. Sauf que, contrairement à Russian Novel qui était volontairement et maladroitement cérébral, South Bound, lui, est gaiement explicite car ce dont il s’agit, justement, c’est de caricaturer (donc de donner littéralement à voir) le fonctionnement des forces de l’oppression et de ceux qui y résistent. Le film décrit l’histoire d’une famille commandée par un patriarche au militantisme despotique ; Hae-Kap, le père, est un paria, un voyou aux yeux d’une société coréenne qui décide de le mettre sous surveillance. L’astuce du film réside principalement dans le choix d’un ton léger mais efficace qui marie gracieusement critique de l’Etat et critique de l’ordre symbolique incarné par le père de famille. Il en résulte un dispositif qui s’engendre selon le principe de l’emboitement de critiques ainsi que sur l’auto-dérision : aucun pouvoir n’est recevable ni crédible puisque chacun opère selon un répertoire d’images facilement caricaturable. Tel est l’enjeu politique du film. Par ailleurs, la mise en scène des gags, aussi bien verbaux que physiques, obéit à des lois représentationnelles très classiques et à l’efficacité assurée, ce qui rend South Bound moins inventif et radical sur ses intentions.
Là où Russian Novel se construit sur un style faussement formaliste ainsi que sur un ton délibérément sobre et grave qui disperse les intentions du film (la sobriété mal agencée décrédibilise toute image), South Bound affirme de manière très cohérente des postulats qui se donnent à nous de façon très visible, le principe étant dans le film, précisément, de dénoncer un pouvoir qui peine de plus en plus à occulter son artifice.
– > Site officiel du Festival du film Coréen de Paris (FFCP)
Russian Novel – Note:
South Bound – Note:
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