Hypothèse : et si l’argument de la météo – que l’on imagine plutôt au beau fixe en cette fin du mois de mai en terre catalane – n’était plus suffisant pour justifier un déplacement au festival Primavera Sound chaque année ? Car après tout, s’il faut venir à Barcelone en bottes et en K-Way, autant se diriger directement vers Glastonburry pour avoir son content de pluie et de boue. C’est la question qui nous est venue à l’esprit, vendredi, lorsque l’orage s’est abattu sur le Parc del Forum, déversant des trombes d’eau qui ont forcé les festivaliers à déserter les devants de scènes et à se protéger sous les structures abritées du lieu. Conditions qui n’ont cependant pas douché notre motivation pour ce deuxième jour de festival où l’on s’est mis bille en tête à la recherche d’une entrée pour le concert de The wedding present sur la Heineken Hidden Stage, ouverte uniquement sur réservation. Les fameux Sésame – moins de 500, la capacité de la salle est limitée – sont déjà tous partis – en moins d’une demi-heure, nous dit-on – lorsqu’on tente notre chance au stand d’accueil du festival. On ne devra d’y entrer qu’à notre badge presse qui nous permet de franchir le cordon de sécurité. La Heineken Hidden Stage est située sous la structure photovoltaïque du Parc del Forum, il faut emprunter quelques couloirs en béton avant d’y accéder, le set vient de démarrer lorsqu’on prend position devant la scène.
Quel plaisir de revoir David Gedge en pleine forme et manifestement heureux d’être invité à nouveau par les programmateurs (le groupe était programmé pour jouer Seamonsters in extenso l’an dernier et avait aussi donné un concert secret avant celui de Blur). Revenu aux affaires en 2005 après le hiatus Cinerama, The wedding present est de nouveau actif avec trois albums depuis cette réunion et un nouveau line up pour relancer la machine. Si ce soir les nouveaux titres sont joués, c’est très logiquement les classiques du début qui remportent les suffrages du public. Flying saucer, My favorite dress, Corduroy, Blue eyes, Brassneck… Autant de tubes instantanés qui permettent de mesurer l’importance qu’a pu avoir le groupe au début des années 90, avec cette qualité dans le song writing à peu près équivalente à celle d’un Jarvis Cocker dans la capacité à raconter les histoires des petites gens en moins de trois minutes. Un vrai plaisir nostalgique qui met le sourire aux lèvres.
Direction el Auditori, immense salle assise, pour assister au set de Body/ Head, le nouveau projet de Kim Gordon, en duo avec le guitariste Bill Nace. Si le premier album, Coming Apart, était conçu comme une improvisation entre les deux musiciens, on pouvait cependant y déceler une certaine logique interne aux morceaux, voire un effort mélodique qui pourrait s’apparenter à de la composition en temps réel. Pas question cependant de répéter le disque en concert, le duo s’empare de la scène comme d’un espace en construction, sans grille préconçue, qui dépasse le format du rock pour s’aventurer dans une aventure proche du free jazz, avec la puissance des décibels et du larsen comme allié. La formule est audacieuse et déroutante, si bien qu’elle vide une partie de la salle de son public le moins attentif. Dommage, car c’est véritablement une expérience qu’il est permis de vivre, pourvu d’ouvrir ses récepteurs sur la durée et sans avoir recours aux schémas classiques.
On arrive en avance devant la scène Heineken pour assister au concert des Pixies. Une petite halte par la buvette nous permet d’observer de loin Slowdive et sa pop aérienne shoegaze. Hormis les années en plus, tout cela reste conforme à nos souvenirs datant du début des années 90, époque bénie de la noisy pop, des Cocteau Twins, des Pale Saints et autres Ride. On ne peut pas affirmer que c’est ennuyeux – la distance voyez-vous -, mais il n’est pas exclu que cette musique éthérée et l’attitude du groupe sur scène ne produise un effet soporifique sur le public. D’ailleurs, nous aussi fixons le bout de nos chaussures, mais plutôt pour éviter les flaques d’eau qui ont envahi le site (l’orage de fin d’après-midi, souvenez-vous). Quand Black Francis attaque le set des Pixies avec Bone Machine, on se dit qu’on va avoir le droit à un set taillé pour les festivals, direct et frontal, sans fioritures. Pour l’absence de chichi, on a été servis. Même si on n’imagine pas le leader chauve de ces lutins faire tourner les serviettes ou improviser une chenille avec ses musiciens sur scène, un simple bonjour, un sourire ou un merci auraient été vécus ce soir comme le summum de la convivialité.
Le groupe donne cette désagréable sensation de venir faire le taf, sans plus. On les a vus plus inspirés cet automne. lors de leur tournée en salles à Toulouse, ils avaient l’air contents d’y être et de l’accueil du public. Entre-temps, l’album Indie Cindy est sorti, dont une bonne moitié est jouée ce soir. What goes boom, Greens and blues, Bag Boy, Indie Cindy, Magdalena 318, les titres du nouvel opus nous font penser que les Pixies n’avaient finalement pas besoin de ce disque-prétexte pour repartir sur les routes et qu’on préfère finalement les concerts best of des anciens titres qui sont pour le coup tous des classiques inépuisables. On n’est jamais contents ! On râle contre ces reformations dont l’objectif est de payer ses impôts ou la piscine de sa villa, et quand sort du nouveau son, on se plaint sur le mode du « c’était mieux avant ». Black Francis doit avoir noté le déficit d’ambiance dans le public, il toise régulièrement les premiers rangs, un peu comme Josh Homme la veille, à provoquer une réaction qui ne viendra que sur un Where is my mind qui met tout le monde d’accord in extremis.
Sur le chemin de la scène Ray Ban vers laquelle on se dirige pour le concert de Darkside, nous tombons à l’arrêt quand The National commence son set sur la Sony, un peu moins noire de monde que la veille pour Arcade Fire. On pensait ne rester que pour se faire une idée sur quelques titres, nous irons finalement jusqu’à la fin car le groupe a donné l’une des meilleures prestations du week-end. On n’a pas beaucoup écouté leur dernier opus, Trouble will find me, sorti l’an dernier. Sans doute car le disque n’offrait pas suffisamment de rupture dans la discographie du groupe, qui donnait l’impression de ronronner une formule connue et parfaitement maîtrisée, celle d’une pop noire et romantique. Mais il faut admettre, à les voir jouer, qu’il n’y a aucun déchet dans la musique de The National. Chaque morceau est une petite perle de construction mélodique et d’écriture, et Matt Berninger offre une performance totalement habitée, tout en charisme et en autorité.
Le chanteur aux faux airs de prof de faculté est totalement imprévisible sur scène. Souvent cassé en deux sur son pied de micro, il grimpe sur la structure de scène, puis descend sans prévenir dans le public au milieu duquel il se balade longuement. Véritable cauchemar pour la sécurité, il est aussi la bête noire de l’ingénieur du son et à force de se servir de son micro comme d’un marteau, survient ce qui devait arriver : la panne, qui force son guitariste à chanter la partie vocale d’un Terrible Love qui clôt le concert de façon dantesque. Le groupe accueille Justin Vernon sur Slow Show et nous fait regretter de n’avoir pas pu assister au concert de Volcano Choir, la veille à la salle Apolo, concert pour lequel nous avions nos entrées… Il fait monter ensuite Hamilton Leithauser (croisé plus tôt dans le public pendant le set de The Wedding present) et Paul Maroon (ex Walkmen) sur scène pour Mr November. Matt Berninger rend hommage au premier en avouant avoir tout appris de lui lors de leur première tournée en commun et saluera sa section de cuivre en affirmant qu’avant de les intégrer au groupe, « We sounded like shit ». Talent et humilité : la classe.
Le set raté de SBTRKT ne réussit pas à nous faire redescendre de ce grand moment avec The National. Le duo de DJ masqué arrive en retard sur la scène ATP où le technicien son est en panique, et semble ne pas gérer des problèmes techniques qui interdiront au concert de vraiment s’envoler. Est-ce cette immense structure gonflable en forme de félin menaçant qui portera la poisse et ne permettra jamais au dubstep hypnotique et mystérieux de SBTRKT de produire son effet ? Au bout d’une demi-heure, on abandonne. Tant pis pour Jagwar Ma et pour Laurent Garnier, le froid glacial qui s’est installé sur le Parc del forum a eu raison de notre motivation à prolonger la soirée sur le site.
Note: