On a beaucoup de mal à croire, quand on la voit monter sur la scène du Bikini, qu’Anna Calvi est la même personne qu’on a rencontrée en interview plus tôt dans la journée. Autant la chanteuse impose une présence insolente d’assurance face à son public – des yeux de panthère et une voix qui n’a rien à envier à Patti Smith ou PJ Harvey -, autant en privé, elle paraît d’une timidité maladive, répondant de façon monosyllabique aux questions d’un filet de voix à peine audible. Fatigue due à une tournée marathon, lassitude des obligations de presse… On ne saura pas expliquer cet accueil cordial, mais bref.
Il faut dire que rarement une artiste n’aura suscité un tel engouement et une telle unanimité critique, avant même que le disque ne sorte, sur la seule foi de prestations live remarquées. «Ça m’a pris deux ans pour écrire et enregistrer l’album. Pourquoi si longtemps ? Sans doute parce que je n’avais pas encore signé sur un label et que je ne travaillais pas dessus à temps complet. Quand Rob Ellis, le producteur est arrivé pendant l’enregistrement, il a beaucoup apporté, on a beaucoup collaboré ensemble et cela a été très bénéfique». Le raz de marée Anna Calvi peut déferler, les media s’emparent du sujet et quand on consulte la revue de presse de la demoiselle, ce ne sont pas moins de 130 pages d’articles et d’interviewes en français qui lui ont été consacrés ces derniers mois. Autant dire que le phénomène dépasse le simple cercle de la presse spécialisée pour aller remplir les colonnes des journaux people, de la mode et de société.
«Je ne m’attendais pas à un tel succès», avoue-t-elle, de cette voix de fillette qui nous étonne encore, juste après l’avoir entendue en concert au bikini, reprenant sans complexe Edith Piaf. «J’ai commencé à chanter il y a cinq ans seulement, c’est tout nouveau pour moi». La guitare cependant est un instrument avec lequel elle entretient une relation durable et intime. «J’ai fait entrer beaucoup d’influences différentes dans ma musique, elles proviennent de mes goûts personnels et de ce que j’ai entendu en grandissant. Mon père est d’origine italienne, leur musique [des Italiens] est très spectaculaire et bourrée d’émotion, cela a dû avoir un impact sur moi».
Il faut donc se résoudre à croire qu’il y a deux Anna Calvi, aux personnalités totalement antagonistes : introvertie dans la vraie vie, libérée sur scène où elle confirme qu’elle maitrise techniquement son instrument avec une rare aisance. Quand on lui demande de décrire sa musique pour quelqu’un qui ne l’aurait jamais entendue, elle répond d’un «There’s guitare on it» lapidaire qui fait sens quand on l’observe convoquer en concert les influences de Jimmy Hendricks, de Jeff Buckley, d’Ennio Morricone, de la bossa nova et du flamenco. «J’adore jouer en public. J’apprécie tout particulièrement le public français qui a cru en moi très tôt. Mon meilleur souvenir est d’ailleurs le concert que nous avons donné au Trianon à Paris, l’expérience la plus formidable depuis que l’album est sorti». Si la musique d’Anna Calvi est déjà d’une efficacité redoutable, très cinématographique, sombre et rock à la fois, il lui manque sans doute encore un supplément d’ âme qui lui permette de transcender ses modèles avoués. «J’écris déjà la suite, je compose de nouveaux titres sur la route». Pas de nouveaux morceaux dans la set list ce soir, mais si la jeune diva parvient à s’extirper de son réseau d’influences, de faire entrer l’expérience de la vie et de la scène dans son prochain opus, on a hâte d’entendre ça !
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