C’est l’une des bonnes nouvelles de cette fin d’été, La vie électrique, le deuxième album d’Aline, pourrait bien installer le groupe de Romain Guerret à la place qu’il mérite dans le paysage musical français. Leur french pop a quelque chose d’une évidence, totalement décomplexée et addictive, alignant les titres comme des petits classiques du genre, sans coup férir. Il faut aussi voir Aline sur scène pour se convaincre du potentiel du groupe et de sa capacité à créer des ambiances, entre la pop, le dub et le reggae, le rock ou le punk. Rencontre.
Versatile Mag : Peux-tu nous expliquer les origines du groupe ?
Romain Guerret : Avant, j’avais un projet qui s’appelait Dondolo, qui a duré une dizaine d’années. J’ai fait deux albums et puis j’en ai eu un peu marre de jouer tout seul dans mon coin. 2009 a été une année difficile pour moi, d’un point de vue personnel. Alors j’ai pris un synthé, une guitare, une basse et j’ai créé Young Michelin en écrivant quelques titres qui ont intéressé des gens du milieu, dans un genre qui ne se faisait plus beaucoup en France. On m’a demandé de faire des concerts et c’est là que j’ai recontacté ceux avec qui j’avais collaboré sur Dondolo, c’est à dire Arnaud à la guitare, Jeremy au synthé, Vincent à la batterie et Romain à la basse. On a gagné le concours des Inrockuptibles qui s’appelait CQFD à l’époque, ce qui nous a permis de partir enregistrer à New-York une semaine. On a ensuite été embêtés par Michelin qui n’appréciait pas vraiment notre nom, je l’avais choisi à partir d’un captcha qui m’amusait. Je trouvais que cela résumait bien nos influences françaises et anglaises. On a dû le changer et nous sommes devenus Aline. C’était dans la bio fictive de Young Michelin que j’avais écrite alors, que le groupe n’existait pas en tant que tel, les autres n’avaient pas encore rejoint le projet. Il y avait dedans plein de petits indices qui indiquaient nos influences et Aline était le nom de la ville imaginaire d’où l’on venaient. J’aime cette sonorité, c’est un nom qui est doux, simple à retenir, et cinq mecs qui s’appellent Aline, je trouve ça pas mal !
Votre deuxième album, La vie électrique, est produit par Stephen Street, comment s’est passée cette rencontre ?
Au moment de faire la liste des producteurs avec qui on voulait bosser pour le deuxième disque, on avait mis pour rire Stephen Street en tête, car pour nous c’était un rêve, en pensant qu’il n’allait jamais nous répondre. On l’a contacté sur son vieux site Internet en lui envoyant un lien Soundcloud de notre premier album, Regarde la mer. Et le lendemain, il nous a répondu, nous disant qu’il adorait notre musique, qu’elle lui parlait et qu’il voulait travailler avec nous. Stephen Street véhicule tout un mythe qui est important à nos yeux, celui des Smiths, Morrissey, Blur ou les Babyshambles. Mais on ne voulait surtout pas sonner comme ces groupes-là, on lui a dit tout de suite. Et il nous a répondu que ça tombait très bien, qu’il ne voulait pas refaire un album des Smiths, mais d’Aline. On lui a traduit tous les textes, car il voulait absolument comprendre de quoi parlaient les morceaux, la signification des mots. On avait très peu de temps en studio à Bruxelles, dix jours pour enregistrer treize titres et lui nous a apporté une méthode. C’est quelqu’un de très impliqué, calme et flegmatique. Dès le deuxième jour, chacun avait pris ses marques et on ne pensait plus qu’on travaillait avec celui qui avait produit des albums mythiques, mais qu’il était comme un sixième membre du groupe avec qui on a beaucoup rigolé et bu des bières après la journée de travail. Comme quoi tu peux très vite désacraliser le truc.
Quelles étaient vos intentions par rapport à ce deuxième album au moment d’enter en studio ?
On s’est dit qu’on n’allait pas se prendre la tête avec ce deuxième disque, car ça peut être sclérosant, très vite tourner en rond, on peut se poser beaucoup de questions, avoir peur de l’échéance. On a choisi de le faire très vite pour éviter tous ces écueils. On a réuni vingt titres en un an, puis choisi treize. Il était hors de question de refaire le premier album. Tout en gardant notre couleur, notre son, ce qui fait le charme d’Aline, on a donné plus de place aux synthés, ce qui est paradoxal, car Stephen Street, ce n’est pas trop son truc. Et on a fait entrer plein d’influences différentes, du punk rock, du reggae, de l’electro pop. On a ouvert le spectre, élargi notre palette tout en conservant l’ADN d’Aline. On ne s’est rien interdit, on voulait surprendre et se surprendre. C’est ça qui est drôle, aller vers des plans proto dub sur lesquels on ne nous attendait pas forcément, changer la recette, car des morceaux estampillés Sarah Record, on peut en écrire cinq par jour. Sans faire un virage à 180 degrés, on s’est amusés à mélanger d’autres couleurs pour voir ce que pourrait donner le tableau.
On a l’impression, quand on écoute La vie électrique, que chaque titre tend vers une sorte de perfection dans son genre. Est-ce ce que vous avez en tête quand vous composez ?
C’est vrai que j’aime que les chansons aient ce côté définitif, qu’il y ait une évidence, une immédiateté et que tu te dises que c’est un classique instantané qui te donne envie d’y revenir de façon addictive. C’est la musique que j’aime, je l’écoute comme ça, en remettant le morceau cinq ou six fois de suite. C’est un peu old school comme façon d’écrire, mais c’est notre conception de la pop.
Écrire en français, cela participe aussi à cela ?
Nous sommes un groupe français, j’écris dans ma langue, je ne vois pas pourquoi j’irai me cacher derrière quelque chose qui ne me ressemble pas. En chantant en français, les gens comprennent tout de suite ce qu’on raconte, cela crée une immédiateté. C’est une façon de se mettre à poil. Beaucoup de groupes français ont peur de franchir cette barrière, ils craignent de trop se dévoiler. Mais c’est aussi se mettre des bâtons dans les roues de chanter en français quand on entend ce qui passe à la radio.
Où vas-tu chercher l’inspiration pour écrire ?
Les textes sont toujours autobiographiques et sont une vision de ce que je vois autour de moi, la société, le monde dans lequel on vit. Je pars souvent du titre pour dérouler ensuite les paroles. Dans l’album tu as des chansons d’amour, une qui parle de la place du diable dans nos vies, de l’astrologie ou des mauvais trips en rave… Des choses assez simples finalement, qui proviennent de mon expérience et de mes notes. Sur ce deuxième album, je me suis davantage mis en scène, en variant les personnages et les décors. Les sources d’inspiration sont donc assez larges au départ, mais ensuite je recentre le propos pour qu’il y ait une unité. On ne fait pas de la chanson française, mais le texte est quand même important. On peut écouter Aline sans écouter les paroles, ça ne me dérange pas, c’est de la pop. Mais si tu écoutes le texte, il faut pouvoir s ‘identifier au chanteur même si c’est de la pure mise en scène.
D’où vient le titre de l’album, La vie électrique ?
Au départ, c’est un recueil d’Albert Robida, un contemporain de Jules Verne qui a imaginé la vie à Paris en l’an 2000. Il anticipait les téléphones et la télévision un siècle avant que ça existe. J’ai toujours aimé ce livre et son titre mais la vie électrique c’est aussi pour moi cette tension permanente dans laquelle on vit depuis trois ou quatre ans. C’est comme un orage qui serait au-dessus de nos têtes, mais qui ne voudrait pas éclater, un néon qui vibre au-dessus de nous avec cette lumière qui donne mal à la tête et aux yeux. On voudrait que ce néon casse pour passer à autre chose, mais il ne casse pas. On est, selon moi, dans un entre-deux, entre résignation et rage intérieure, entre la frustration et l’espoir de lendemains plus sereins.
Dans quel état d’esprit abordez-vous la scène ?
On cherche à chaque fois à faire le meilleur concert possible, c’est-à-dire en mélangeant l’énergie et la subtilité. Il y a une alchimie à trouver entre la tension du live et le respect des textes et des mélodies. J’ai appris à jouer avec le Velvet Undergound, les Buzzcocks et le punk, si bien que dès que je prends une guitare, il se passe quelque chose de très tendu. On veut trouver un équilibre entre cette tension nerveuse et l’apaisement. Parfois, cela bascule d’un côté ou de l’autre, ça dépend des concerts. Mais oui, on aime jouer, ce qui n’a pas toujours été évident, on a beaucoup galéré au début. On jouait plutôt sur la réserve mais depuis quelque temps, on se lâche davantage. Et puis le son est plus échevelé, plus sale que sur l’album.
Y-a-t-il des groupes de la scène française dont tu te sens proche ?
Quand on a commencé à jouer en 2009, en français, il n’y a pas beaucoup de gens qui le faisaient, ou alors dans leur coin. Et puis un an et demi après, ça a explosé avec Lescop, La femme, Pendentif, des gens avec qui on a beaucoup tourné et créé des liens. On est contents d’avoir fait partie de cette première vague de la french pop, c’est pour cela qu’on a très vite été repérés. Cela a peut-être permis de décomplexer certains de chanter en français. Et aujourd’hui de nouveaux groupes émergent, comme Grand Blanc ou Feu Chatterton, qui ont un univers peut-être plus littéraire.
Comment imagines- tu l’avenir du groupe ?
L’industrie du disque est en telle déliquescence que c’est très difficile de se projeter, même à six mois. J’espère qu’on fera un troisième album, qu’on puisse en vivre un peu plus décemment, qu’on multiplie les collaborations, faire de la scène, toucher plus de monde et pas seulement jouer pour un public de niche, qu’on s’installe dans le paysage. Durer.
Aline en concert :
8-oct.-15 PARIS – LA CIGALE
9-oct,-15 LYON – LE MARCHE DE LA GARE
18-nov,-15 CLERMONT – LA COOPERATIVE DE MAI
20-nov,-15 BESANCON – LA RODIA
12-dec,-2015 FONTENAY-SOUS-BOIS – FESTIVAL LES AVENTURIERS
La vie électrique, disponible – [PIAS]/ Le Label
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