Pablo Larrain s’attaque pour la première fois au Chili contemporain après avoir signé une trilogie brillante sur la dictature Pinochet au travers de Tony Manero, Santiago 73 – Post Mortem et No.
Récompensé par l’Ours d’Argent au dernier festival de Berlin et sélectionné à Toronto et San Sebastian, El Club est un film passionnant et audacieux. Tant par ce qu’il montre de la technocratie Vaticane que par sa mise en scène qui enrobe d’un drap poisseux et d’une musique sacrée (Arvo Pärt et Bach) l’horreur d’une Église qui perd la foi.
Le film s’ouvre sur une citation de la Genèse : « Dieu vit que la lumière était bonne, et il sépara la lumière des ténèbres ». El Club se résume presque à cette phrase. Pendant quatre-vingt-dix-sept minutes, Pablo Larrain n’aura cessé de tamiser les ténèbres par la lumière de la foi, sans parti-pris idéologique, ni jugement envers ses personnages. Il laisse à voir, alternant images documentaires, champs-contrechamps et confessions face caméra. Le film tourné en lumières naturelles avec les lentilles soviétiques qu’utilisait Tarkovski se veut mystique et naturaliste. Encore une histoire d’ombre et de lumière.
Dans une ville côtière du Chili, quatre prêtres marginalisés par l’Église vivent ensemble dans une maison. Ces pensionnaires occupent leurs journées entre fascination pour les courses de lévriers et rituels religieux sans un regard vers l’extérieur. Ces prêtres, coupables d’actes ignobles ou de penchants sexuels répréhensibles pour l’Église, ont été soustraits à la justice civile par celle-ci, considérant que la seule justice était celle de Dieu. Ces maisons existent un peu partout dans le monde et particulièrement au Chili. Les prêtres y sont en villégiature, souvent dans un cadre idyllique, avec la conscience tranquille.
L’arrivée d’un nouveau pensionnaire, le père Garcia, va bouleverser le semblant d’équilibre qui règne au sein de la maison.
Il représente le courant réformiste de l’Église. L’Église nouvelle, proche des gens, capable d’admettre sa douleur et ses doutes, en opposition à l’Église conservatrice, secrète, arrogante, soucieuse de sa puissance.
Le père Garcia lutte contre la distorsion spirituelle que subit l’Église au travers de ces quatre prêtres. Il s’emploiera à faire jaillir la vérité, leur vérité pour les emmener, non pas devant la justice, mais sur le chemin complexe de la rédemption. Avec perte et fracas.
Pablo Larrain utilise avec force la symbolique, sans pour autant se perdre dans les métaphores grotesques d’un Carlos Reygadas.
Le lévrier – seul chien mentionné dans la Bible – revêt un caractère mystique, objet de fascination pour les prêtres. Ce culte de la vitesse, de l’ellipse, des courses effrénées, marque la toute puissance et le sentiment d’impunité. Une exaltation du « pas vu, pas pris ».
La maison, filmée en noir obscur, percute les terrains vierges de l’océan et ses fenêtres se laissent embraser par la réverbération du soleil sur la plage surexposée.
La télévision toujours allumée vocifère comme si l’Église avait plus peur pour son image que pour la perte de ses idéaux de paix, d’amour, d’humilité et de pardon.
Le film est à la fois très direct de par la force des témoignages et des images montrées et à la fois très ambigu de par cette symbolique qui transcende le prêt à penser.
Seul regret, l’épilogue du film, grandiloquent, casse le fil sensible du film. Pablo Larrain le dit lui-même. Il ne connaissait pas l’issue de l’histoire qu’il a fini d’écrire en cours de montage.
El Club n’aura sans doute pas l’écho médiatique du livre de Gianluigi Nuzzi, Via Crucis, sorti cette semaine, mais il en raconte tout autant sur les virages tortueux de l’Église, entreprise de foi, cerf volant pris dans l’ouragan de l’économie et des médias du nouveau Monde.
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