Beaucoup de spectateurs ont été déçus par Boulevard de la mort à cause des longs tunnels de dialogues encadrant les deux morceaux de bravoure que sont le crash frontal au milieu du film et la course poursuite de 20 minutes. Cependant, ne retenir du film de Tarantino que ces deux moments forts revient à occulter ce qui fait le talent unique du réalisateur : son don exceptionnel pour l’écriture, le verbe, le dialogue et la direction d’acteur. Boulevard de la mort en est la manifestation sans équivoque, qui regorge de bons mots et de phrases cultes dont on se repaît sans modération. Nous avons choisi 10 répliques cultes du film, exercice forcément partial, qui revient à en occulter au moins le double qui aurait pu figurer dans notre Top 10. Essayons cependant de relever le défi, en VO bien entendu car aucune traduction ne pourrait rendre justice à la qualité du texte tarantinien.
(dans l’ordre chronologique, et en image)
– So what’s your name, Icy ?
– Stuntman Mike
– Stuntman Mike’s your name ?
– You ask anybody
– Hey Warren, who is this guy ?
– Stuntman Mike
– And who the hell is Stuntman Mike ?
– He’s a stuntman
Tarantino a le don de remettre en avant des acteurs oubliés des studios mais qui se sont jadis illustrés dans des films figurant au panthéon du réalisateur. Ce fut le cas pour Travolta avec Pulp Fiction, Pam Grier dans Jackie Brown et maintenant Kurt Russell avec Boulevard de la mort. L’acteur est parfait dans le rôle de Stuntman Mike, cascadeur sur le retour, figure désuète un peu ridicule mais dont le côté prédateur surgit ponctuellement. C’est lui qui prononce les meilleures répliques du film. Rien que le nom, « Stuntman Mike » est une trouvaille en soi, qu’une traduction en « Mike La Cascade » ne suffit pas à retranscrire en français. Ce surnom nous vaut un premier échange savoureux entre lui et Pam, figurant dans la bande originale du film.
The woods are lovely, dark and deep, and I have promises to keep. Miles to go before I sleep. Did you hear me, Butterfly ? Miles to go before I sleep.
Stuntman Mike, dans la première partie du film, ne révèle aux autres personnages que la partie la plus débonnaire et ridicule de sa personnalité. Il amuse la galerie avec son look de cow-boy et ses références à d’obscurs films pour lesquels il a joué la doublure. Cependant, le spectateur sait que Stuntman Mike est un danger potentiel car on l’a vu suivre les filles au début et observer des photos qu’il cache dans son pare-soleil. Alors lorsqu’il prononce le poème contre lequel Butterfly doit effectuer une danse du ventre, on sait que Stuntman Mike commence à découvrir sa vraie personnalité de prédateur. Le loup sort du bois, prudemment d’abord, de façon ambiguë pour ne pas se trahir, mais prêt à bondir sur ses proies.
– Do i frighten you ? Is it my scar ?
– It’s your car.
– Ah, yeah, I know…Sorry, it’s my mum’s car.
Voilà quelques lignes intraduisibles en français, le jeu de mot car/ scar (voiture/ cicatrice) ne trouvant aucune signification dans la langue de Molière. La tension entre Stuntman Mike et Butterfly est de plus en plus palpable, celle-ci le soupçonne de la suivre, elle l’a vu avant son entrée dans le bar. Mais Stuntman Mike poursuit sur le mode du second degré pour désamorcer la situation (« ma voiture te fait peur ? Désolé, c’est celle de ma mère » !), ne pas se mettre à dos les filles et obtenir ce qu’il souhaite avant tout : une danse du ventre de Butterfly.
You know when people say, « you’re okay in my boook » or « In my book that’s no good ». Well, I actually have a book. And everyone I meet goes in this book, and now I’ve met you and you’re going in my book. Except…I’m afraid I must file you under…chicken shit.
Constatant la résistance de Butterfly et la solidarité féminine qui s’organise autour d’elle, Stuntman Mike ne dispose plus que d’une option pour gagner sa danse du ventre: piquer Butterfly au vif, la vexer en la répertoriant dans son calepin au registre des poules mouillées. Encore une fois, l’expression « you’re okay in my book » n’a pas de traduction littérale en français. On pourrait la comparer à l’expression « être dans les petits papiers de quelqu’un ». Kurt Russell jubile manifestement lorsqu’il sort le calepin de sa poche, et le spectateur se régale de l’échange, sachant que là, le cascadeur a frappé le coup décisif.
Hey , Pam ! Remember how I said this car was death proof ? Well, that wasn’t a lie. This car is one hundred per cent death proof. Only to get the benefit of it, honey, you really need to be sittin’ on my seat !
L’expression « Death Proof » donnant son titre original au film, on se doute que cette caractéristique de la voiture aura son importance dans le récit. La scène du meurtre de Pam à l’aide du véhicule est un premier climax dans le film. Tarantino plonge l’habitacle dans une lumière rouge digne d’un giallo, cadre en plan serré le visage de l’actrice qui ne sait pas ce qui lui arrive et clôt la mise à mort par cette phrase prononcée par Kurt Russell qui achève le calvaire de la victime. Le coup de frein qui précipite le visage de Pam contre le tableau de bord, le bruit sourd du crâne qui se fracasse, résonnent comme une ponctuation, un point final aux paroles de Stuntman Mike. Il tue avec sa voiture, mais aussi avec ses mots.
– Who do you wanna hear ?
– Dave Dee, Dozy, Beaky, Mich and Tich.
– Who ?
– Dave Dee, Dozy, Beaky, Mich and Tich.
– Who the fuck are they ?
Avec Tarantino, tout fait « verbe ». Le dialogue est savoureux par son écriture, le jeu des acteurs, mais aussi parce que chaque mot, chaque expression doit « sonner » à l’oreille du spectateur. Le nom des boissons par exemple (Virgin Pina Colada, Cadillac Cabo Wabo Margarita, Chartreuse), mais aussi le nom des musiques entendues dans le film. Le morceau « Hold Tight » qui illustre le crash automobile, outre qu’il adopte parfaitement la progression dramatique de la scène, a sans doute été choisie par Tarantino à raison du nom du groupe qui l’interpète. « Dave Dee, Dozy, Beaky, Mich and Tich » sonne en effet exceptionnellement bien dans la bouche de Jungle Julia, contient son propre rythme qui donne une saveur particulière au dialogue. Rien n’est laissé au hasard avec Tarantino. Il pense à tout, pour le plaisir du spectateur.
Well, I gesstimate it’s a a sex thing. The only way I can figure out. High velocity impact, twisted metal, busted glass, all four souls taken exactly the same time. Probably the only way the diabolical degenerate can shoot his goo.
Michael Parks jouait déjà le rôle du shérif dans Kill Bill Vol.1, accompagné de son « Fils N°1 ». Ici, c’est lui qui diagnostique la pathologie sexuelle sous-tendue par les meurtres que perpètre Stuntman Mike. Le cascadeur prend manifestement son pied à tuer d’innocentes victimes au volant de sa voiture, c’est pour lui le seul moyen de « lâcher la purée ». Le shérif met en mot le symbole sexuel représenté par la voiture dans la société américaine. En précipitant son véhicule contre ses victimes, Stuntman Mike commet un viol implicite. La course-poursuite qui suivra sera aussi riche en expression à caractère sexuel, les collisions figurant des coups de butoir que chacun s’assène à tour de rôle pour affirmer son sexe.
– However…
– Whatever with your however !
Pur moment de dialogue ultra écrit, et encore une fois intraduisible en français, sans perdre le plaisir des mots. Les actrices jubilent visiblement d’avoir un tel texte à dire, cette scène venant après celui du diner où Tarantino « remake » son propre plan séquence de « Reservoir Dogs », dans un long tunnel dialogué de près de 10 minutes. Pour que les mots coulent avec un tel naturel, une aisance aussi manifeste, il faut un grand directeur d’acteur derrière la caméra, mais aussi un parfait observateur des habitudes de langage féminines. Tarantino avoue avoir passé beaucoup de temps en compagnie de femmes avant le tournage, les a écoutées parler, et cela se ressent dans Boulevard de la mort. Le texte aurait tout aussi bien pu tomber à plat : c’était sans compter un casting féminin intégralement parfait, qui a du caviar à réciter.
Hey, ladies, THAT was fun !
Cette phrase est dite au terme de la première partie de la course-poursuite finale. Dans ces quelques mots prononcés par Kurt Russell, on pourrait entendre la voix de Quentin Tarantino, d’autant plus que la gestuelle de l’acteur rappelle celle du réalisateur. On sait que Tarantino voulait accrocher à son palmarès une course-poursuite en voiture qui entrerait dans les annales de l’histoire du cinéma. Il ne peut pas s’empêcher de faire les choses à moitié, réinvente systématiquement tous les genres auxquels il touche, et n’a d’autre ambition que de donner au spectateur un maximum de plaisir, de la même façon que lui-même en a reçu dans sa vie de spectateur. Alors oui, il faut avouer que cette course poursuite est une séquence d’anthologie, un pur plaisir.That was fun !
I’m sorry, I was just playing around with you.
Boulevard de la mort cultive l’art du contre-pied systématique. Tout d’abord, sa structure « à la Psychose » sacrifie ses personnages principaux en plein milieu de métrage, pour repartir dans une seconde partie avec un nouveau casting féminin que l’on sait menacé par Stuntman Mike. Cependant, du rôle de proie, elles vont devenir un prédateur pour le cascadeur dans un retournement de situation aussi inattendu qu’hilarant. Stuntman Mike, poursuivi à son tour par Zoé, Kim et Abernathy pleurniche comme un enfant, supplie comme une femmelette qu’on lui laisse la vie sauve. Le film prend alors des allures de girl power finalement logique. Boulevard de la mort peut alors se lire comme un « rape & revenge » d’un genre particulier où le deuxième groupe de filles vengerait la mort des premières.
Boulevard de la mort, disponible en dvd et blu-ray (TF1 Vidéo)
Note: