Au programme, quatre films de la sélection officielle. Sicario du canadien Denis Villeneuve, Marguerite et Julien de la française Valérie Donzelli, tous deux en compétition. Et dans la section Un Certain Regard, Taklub du philippin Brillante Mendoza et Masaan, premier film de l’indien Neeraj Ghaywan.

Après les remarqués Incendies et Prisoners, Denis Villeneuve présente Sicario avec Benicio Del Toro, Emily Blunt et Josh Brolin. Le cinéaste propose un pur film de traque et de territoires.

Kate (Emily Blunt), jeune recrue idéaliste du FBI va se retrouver embarquée par une équipe des forces spéciales aux méthodes illégales pour faire tomber une figure éminente d’un cartel mexicain. Cette équipe est pilotée par un agent du gouvernement (Josh Brolin) épaulé par un consultant Alejandro (Benicio Del Toro) qui s’avère être un Sicario, un tueur à gages, assoiffé de vengeance.

Dès la première séquence d’infiltration dans une maison tenue par le trafic au cœur de l’Arizona, on comprend que Kate va être l’outil de légitimation de ce groupe d’intervention qui prône le non droit. La caution FBI en quelque sorte. La scène, tendue et nerveuse, est filmée en surexposition avec une violence sourde qui perfore les plans. C’est l’action qui donne le tempo. Pas de dimension psychologique ni de scènes explicatives, le film avance coûte que coûte sans se retourner à la manière du Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow avec une maîtrise de la mise en scène propre au style de Denis Villeneuve.

Sicario est aussi un film de territoires et de frontières. Dans le dernier segment du film, Kate est mise en garde par Alejandro. La règle d’état est devenue le non-droit, le maintien d’un désordre qui garantit les équilibres économico-politiques. Les représentants de l’ordre doivent dorénavant s’habituer à évoluer parmi les loups et baliser leurs territoires. Et c’est assez nouveau dans les films de Cartel, habituellement très manichéens.

Ces territoires sont magnifiquement représentés par le cinéaste à la fois par des plans très abstraits du désert mexicain mais aussi par des scènes de rues au cœur des cités mexicaines tentaculaires où les corps décapités trônent comme des totems désarticulés.

Les scènes de traque sont elles aussi impressionnantes. La prise d’un tunnel clandestin de nuit filmée en caméra vision nocturne est particulièrement convaincante tout comme l’assaut du Cartel où l’explosion de la violence va crescendo.

Et puis il y a Benicio Del Toro, le sicario, le loup attaché à sa proie. Il est formidable et signe sans doute l’une de ses plus belles prestations. Son personnage de mercenaire, prêt à tout pour venger sa femme et sa fille, passé du camp des trafiquants à celui des forces d’interventions, donne toute l’ambiguïté morale au film.

Le final est sans concession. Pas de place pour les idéaux dans le très réussi nouveau film de Denis Villeneuve.

marguerite et julien

Autre film présenté en compétition, Marguerite et Julien de Valérie Donzelli avec Anaïs Dumoustier et Jérémie Elkaïm. Et c’est après le film de Maïwenn le second ratage complet de la compétition.

Julien (Jérémie Elkaïm) et Marguerite (Anaïs Dumoustier), frère et sœur d’une noble famille bourgeoise s’aiment d’un amour profond depuis leur plus tendre enfance. Cet amour va les amener à entretenir une relation incestueuse qui va scandaliser la société et l’église, et les mener à leur perte.

Dès les premières images, on sent immédiatement le style poseur et ampoulé de la cinéaste pétri de symboles artificiels.

Le film s’ouvre donc sur des hélicoptères de guerre survolant l’océan pour enchaîner ensuite un plan de château renaissance où la vie se passe il y a plusieurs siècles. La cinéaste suggère que le mélange des époques stigmatise l’universalité du propos. L’amour est plus fort que tout quels que soient les époques ou les générations.

Mais ce n’est pas de la mise en scène, c’est un dispositif signifiant facile et paresseux.

Pour suggérer la moralité de cet amour, le film prend parfois la tournure d’un conte où une jeune femme narre l’histoire de Marguerite et Julien à de jeunes écoliers fascinés. Evidemment, puisque l’amour est plus fort que tout. Le film frôle alors une naïveté gênante.

Nous assistons donc à un enchaînement de scènes sur-signifiantes sans aucune cohérence entre elles.

A l’inverse, Donzelli pour imprimer son style et faire naître des éléments romanesques dans le film, s’autorise des scènes artificielles et tape à l’œil. Des arrêts sur image d’une grande laideur à la manière des tableaux renaissance ou des scènes naturalistes où à aucun moment on ressent la moindre vibration des éléments.

Et puis il y a Anaïs Dumoustier et Jérémie Elkaïm. Si l’actrice tire à peu près son épingle du jeu, c’est un naufrage complet pour l’acteur. Il est spectateur de lui même et n’incarne à aucun moment la passion romanesque qui devrait rendre leur relation incandescente. Il est totalement absent du film ou en surjeu.

La seule question qui se pose est de savoir pourquoi le film est en compétition alors que les merveilles de Desplechin, Weerasethakul ou Mendoza n’ont que les strapontins.

Autre merveille à Un Certain Regard, nous venons de l’évoquer, Taklub de Brillante Mendoza. Le cinéaste philippin filme la ville de Tacloban dévastée après le passage du Typhon Hayan.

Le film prend sa source dans l’ecclésiaste – chapitre trois. Il y a un moment pour tout, et un temps pour chaque chose sous le ciel. Un temps pour donner la vie, et un temps pour mourir. Un temps pour détruire et un temps pour construire. Un temps pour pleurer, et un temps pour rire. Un temps pour gémir, et un temps pour danser. Un temps pour chercher, et un temps pour perdre.

C’est donc la résistance d’un groupe d’individus face à l’épreuve du temps que le cinéaste va s’efforcer de filmer mixant à la fois images documentaires et images de fictions.

L’ouverture du film nous prend immédiatement à la gorge. La caméra nous embarque dans les décombres de cette ville avec une image hyper réaliste pour nous emmener au chevet des dépouilles d’une famille brulée vive, la mère portant encore son enfant dans ses bras. Images chocs et indélébiles qui vont nous habiter pendant toute la durée du film.

C’est sur le fondement de ces images que la vie va reprendre son fil. Le fil de la dignité et de l’entraide d’un peuple sans cesse à la merci des éléments. On assiste à des scènes de marché, de pêche, de prières, de reconstruction, de rire aussi. Le film est magnifique dans l’intimité qu’il créé avec ses personnages transpercés par la vie et la mort.

On suit cette mère qui accueille chaque matin quelques survivants autour de sa table en leur préparant méticuleusement œufs et saucisse. Cette mère qui pourtant vit dans l’horreur de ne pas avoir retrouvé les cadavres de ses trois enfants engloutis par les flots.

On suit aussi cet homme dont la famille a été brûlée vive. Il prend la mer chaque matin sur son bateau de fortune en espérant mourir déchiqueté par un requin.

Le film est poignant d’émotion et de sincérité. Et Brillante Mendoza est un grand metteur en scène. Il nous avait impressionné avec Serbis. Il est ici en très grande forme. Il capte les visages, la douleur, la gratitude, le poids de la mort et de la vie avec un sens du plan et de la distance époustouflant.

Taklub rejoint les grands films du festival.

Enfin Masaan de l’indien Neeraj Ghaywan est un film choral dans l’Inde d’aujourd’hui. Il s’attache au destin de plusieurs personnages qui vont finir par se croiser et vivre les affres de l’amour, de la mort et de la réussite sociale. C’est un premier film symptomatique du nouveau cinéma indien et de cette génération d’auteurs qui revitalise la splendeur de ce grand pays de cinéma. Néanmoins, le scénario est assez convenu et l’on suit cette histoire du coin de l’œil sans vraiment se passionner pour les personnages.

Sicario
Note: ★★★★☆

Marguerite et Julien
Note: ☆☆☆☆☆

Taklub
Note: ★★★★★

Masaan
Note: ★☆☆☆☆

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