Dès sa séquence d’ouverture, Au revoir l’été entraîne son spectateur sur un terrain connu : Mikie, traductrice, revient dans son village en compagnie de sa nièce Sasuko, le temps de vacances voulues studieuses. Difficile de ne pas penser aussitôt à Rohmer et plus particulièrement au début de Pauline à la plage. En outre, le ballet sentimental qui se met ensuite en place continue de s’inscrire dans les pas du cinéaste. Mikie retrouve Ukichi, son ancien amant. Celui-ci gère un love hotel camouflé en établissement de tourisme pour éviter de payer des taxes en plus. Il y emploie son neveu Takashi, éloigné de sa famille suite à la catastrophe de Fukushima. Ces vacances se déroulent dans une insouciance de façade, entachée par l’amertume et les petites lâchetés des uns et des autres.
Outre ce cadre estival et les intrigues amoureuses, des éléments tels les inserts de dates inscrites sur un cahier d’écolier tout comme le choix du cadre 4/3 laissent peu de place au doute quant à l’influence du réalisateur du Rayon vert ou de Conte d’été.
Le film s’écarte toutefois vite de sa tutelle. Les héros rohmériens n’effectuent jamais un parcours sans recevoir une révélation : ainsi pour Gaspard à la fin Conte d’été, saisissant que son destin n’est de finir avec aucune des trois filles fréquentées pendant son séjour à Dinard et que son heure viendra plus tard. Ou encore pour Delphine (Le Rayon vert), trouvant la grâce après le chemin de Damas de ses déboires sentimentaux.
Or, le film de Fukada rappelle au moins autant le cinéma Jacques Rozier, à commencer par Du côté d’Orouët, où trois jeunes filles échappées à Saint Gilles pour le temps d’un été se voyaient encombrées par un Bernard Menez converti en souffre-douleur. Le caractère provisoire de la parenthèse estivale ne cesse de sourdre chez Rozier : les vacances ont une fin et se concluront par l’inéluctable retour à un quotidien autrement moins reluisant. La bulle paradisiaque ne cesse de craqueler sous le rappel constant d’une réalité peu exaltante.
Dans Au revoir l’été, le malaise du Japon contemporain n’a de cesse de sourdre, et le film ne peut s’achever sans avoir fait éclater au grand jour les duplicités, petites lâchetés et faiblesses des uns et des autres : ainsi la veulerie d’Ukichi, au fond un raté qui engage son neveu dans son entreprise illégale. Par ces failles qui lézardent l’Éden estival, Fukada vise plus globalement le malaise de la société japonaise.
Il le fait toutefois sans mettre la charrue avant les bœufs. Les si nombreux films qui sombrent dans l’écueil naturaliste choisissent d’abord des « cas » sociologiques qu’ils cherchent ensuite tant bien que mal à doter d’épaisseur. À l’inverse, le personnage du jeune Takashi ne se trouve jamais réduit au seul statut de réfugié de Kukushima. C’est le chemin opposé que prend le film, et ceci de façon exemplaire dans une séquence pleine de brio: des militants anti-nucléaires veulent faire intervenir Takashi lors d’une manifestation pour témoigner des conséquences de la catastrophe sur sa vie. Précisément, le personnage est irréductible au statut de héros de ce récit-là. Restée chez elle, Sasuko regarde sur un écran la retransmission en direct de la manifestation. Face au public, Takashi bafouille, et finit par déclarer que la façon dont sa vie a changé n’est pas si négative, qu’il n’est en conséquence pas la bonne personne pour parler. Il quitte donc l’estrade et fuit littéralement hors du cadre, quittant l’écran au centre duquel on l’a mis malgré lui, pour mieux rejoindre le film dont il est l’authentique héros. Fuite, toujours, quand Takashi joue un tour hilarant à l’un des éminents clients du love hôtel avant de fuguer avec Sasuko. S’ensuit une échappée pleine de grâce suspendue, à l’image du moment où le couple emprunte une voie de chemin de fer abandonnée.
Kôji Fukada aurait réalisé un film de maigre intérêt s’il s’était contenté d’un pastiche de Rohmer. S’il marche dans les pas de son illustre modèle, il ne manque pas néanmoins d’affirmer sans cesse sa personnalité propre. Refusant l’image d’Épinal et faisant chavirer l’édifice par une suite de petites trahisons, dévoilements, déceptions, il atteint la réalité sociale sans jamais avoir à forcer le trait.
En outre, le film mérite surtout les éloges pour l’aisance dont il fait preuve dans sa mise en scène. À l’heure où le cinéma contemporain raffole de gros plans ainsi que de l’épuisante manie de la caméra à l’épaule, qu’il est bon de voir un réalisateur savoir si bien cadrer, inscrire les corps dans le champ, gérer les travellings ! La grâce avec laquelle Fukada filme les balades au bord de la mer, elle ne peut s’écrire, il faut la voir. Rohmer, encore et toujours, subordonnait la mise en scène à une notion autrement plus floue : la beauté. Si celle-ci ne peut être définie, il faut savoir la reconnaître quand on l’a devant les yeux. Elle est là, pour sûr, dans Au revoir l’été.
Note:
Au Revoir l’été – Bande Annonce from Survivance on Vimeo.
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