« Conneries ! »…
Si l’on en juge par cette sentence prononcée dans un rire nerveux par une dame à la fin d’une séance de Nocturama, il est très probable que le dernier film de Bertrand Bonello risque d’avoir un problème de réception auprès d’un certain public. L’erreur serait de le considérer au regard de l’actualité des attentats, actualité à laquelle il fait fatalement écho a posteriori, mais dont il ne s’inspire pas et à propos de laquelle il ne tient aucun discours.
Non, Nocturama est un plutôt à envisager comme un pur geste de cinéma, parfois maladroit et truffé d’invraisemblances, mais courageux dans sa façon d’aller jusqu’au bout d’une idée, celle d’une bande de gamins d’origines sociales différentes qui font littéralement tout exploser en posant des bombes dans des lieux symboliques de Paris : la place de la Bourse, le ministère de l’Intérieur, la tour d’une grande compagnie financière de la Défense, la statue de Jeanne d’Arc.
Il y a dans ce concept une forme de bienveillance du cinéaste envers la jeunesse d’aujourd’hui, avec en filigrane cette question : quel monde allons-nous leur laisser ?
La première partie du film est un vrai pari formel et narratif. Sans aucune ligne de dialogue, le spectateur suit plusieurs jeunes hommes et femmes dans les rues et le métro de la capitale. Ils semblent déterminés, organisés et méthodiques, échangent des messages et des images avec leurs téléphones portables, s’infiltrent dans les haut-lieux du pouvoir politique et financier dans la ville. Ils préparent simultanément une action qui culmine dans l’explosion de plusieurs bombes, plongeant la ville dans la panique. La tension est paroxystique, l’effet de sidération total. La mise en scène est élégante et précise dans la circulation des personnages qui rappelle un autre grand film sur le malaise de la jeunesse : Elephant, de Gus Van Sant.
Mais la force du film réside dans l’absence de justification ou de discours autour de cet acte terroriste. Bonello ne sur-signifie jamais ce qui motive ces jeunes gens à passer à l’acte, qui est l’illustration littérale de ce sentiment partagé par chacun qu’à un moment ou à un autre, « il faut que ça explose ». Ce regard sur l’état de notre société est pris en charge à un moment donné par Adèle Haenel, avec la simplicité de l’évidence.
Mais comme Nocturama n’est pas un film programmatique, la deuxième moitié du film prend le contre-pied de sa première heure en faisant s’alterner l’extérieur du début à l’intérieur, le bruit au silence, le jour à la nuit. Le groupe de jeunes terroristes s’est enfermé dans un grand magasin pour passer la nuit et ce n’est pas une jeunesse politisée ou radicalisée qui nous est montrée, mais les enfants de cette société de consommation qu’ils entendaient mettre à genoux, qui pillent les rayons pour revêtir les fringues de luxe qu’ils ne peuvent se payer, connectent leurs smartphones aux enceintes pour diffuser leurs playlists à plein volume, car le silence de cette bulle hors du monde est devenu insupportable.
Bonello rejoue ici une partition qu’on lui connaît, celle de l’enfermement et de la micro société. Mais ce qui est beau surtout dans Nocturama, c’est la façon dont il fait entrer en résonance son cinéma avec celui qu’il aime. Là où L’apollonide convoquait ponctuellement les figures de Lynch et Argento, c’est ici le Romero de Zombie et le Carpenter de Assaut auxquels il rend hommage. Et le grand magasin incarne tout-à-coup toutes les tendances du cinéma dont les jeunes rejouent les scènes emblématiques. La course en mini kart, c’est Shining. Le playback sur My Way de Shirley Bassey, c’est la comédie musicale. Le peignoir en soie et le bain un flingue à la main, c’est le Tony Montana de Scarface. La séquence de danse sur Call me de Blondie, c’est le teenage movie avec Breakfast Club en ligne de mire.
Nocturama devient alors une déambulation à la fois musicale et cinématographique, une sorte de fantasmagorie de notre société qui prend le risque de perdre le spectateur à force de refuser tout schéma préconçu, tout discours simplificateur. Pas facile ni confortable, et pourtant essentiel.
Note: