La morgue est le lieu symbolique d’un passage à un autre, véritable entre-deux qui a souvent fasciné l’art en général. On songe notamment aux célèbres peintures de Rembrandt (La leçon d’anatomie du Docteur Tulp) ou à l’œuvre littéraire « Thérèse Raquin » où Emile Zola décrit un des passe-temps morbide et voyeuriste de l’époque, assister à l’arrivée des cadavres. Le septième art le représentera lui aussi, le mettant en scène comme un lieu d’angoisse, de tension et d’incertitude. On ne s’y sent jamais en sécurité, comme si les morts pouvaient à tout instant se relever. La série Tru Calling en fera le point de départ de chaque intrigue en début d’épisode, tandis que le cinéma d’horreur tel que Au-delà de Lucio Fulci ou Mortuary, de Tobe Hopper prendra la morgue comme prétexte afin de faire naître l’effroi. Un effroi souvent accompagné de hurlements et d’hémoglobine.
The autopsy of Jane Doe et I’m not a serial killer, sont deux longs-métrages présentés au Paris International Fantastic Film Festival 2016, le premier en ouverture, le second en compétition. Bien que profondément différents, un élément essentiel les rassemble puisqu’ils partagent la même unité de lieu. Dans The autopsy of Jane Doe, l’action se déroule exclusivement en huis clos, dans une gigantesque morgue familiale où travaillent un père et son fils. L’auteur évite l’habituelle représentation du cadre en aérant au possible ses plans, en optant pour une lumière artificielle et chaleureuse ainsi qu’en l’agrémentant d’autres pièces (un crématorium, un bureau, un ascenseur, etc.). De plus, l’utilisation de miroirs et de reflets redouble cet espace sensationnel, inventant des scènes plus angoissantes les unes des autres. A l’inverse, I’m not a serial killer offre une vision plus traditionnelle avec une morgue située au sous-sol d’une modeste maison, un sombre couloir en pente étant l’unique façon d’y accéder, épousant la descente aux enfers de son protagoniste, John Cleaver. On y trouve des ustensiles moyenâgeux avec un système de poulie désuet pour soulever les corps et une bouche d’évacuation du sang à même le sol. Malgré leurs écarts évidents, la morgue aura un rôle décisif dans la narration des deux histoires, car elle en sera également le dénouement.
Réalisé par André Ovredal, auteur du très remarqué The Troll Hunter, en 2011, The Autopsy Of Jane Doe, raconte la terrible nuit d’un père et d’un fils croques-morts devant faire l’autopsie d’une inconnue (appelée comme l’usage le veut, Jane Doe). Découverte dans des conditions étranges, le macchabée se révélera porteur d’un mystère encore plus grand, impliquant sorcellerie et attaque de zombies. I’m not a serial killer, troisième film de l’Irlandais Billy O’Brien (Isolation, 2005), se concentre sur un jeune lycéen diagnostiqué sociopathe qui va peu à peu soupçonner son voisin d’être le terrible tueur en série qui sévit dans son petit village de Virginie. Tiraillé entre la morale et ses pulsions morbides, il tentera malgré tout d’y trouver un équilibre.
Ce qu’on retiendra de ce dernier film, c’est d’avantage sa magnifique photo, plutôt que son scénario en manque de rythme constant. Tourné en 16 mm par le très talentueux chef opérateur Robbie Ryan (Moi, Daniel Blake, dernière Palme d’Or au Festival de Cannes), sa caméra sublime le quotidien pour le moins particulier du garçon, avec des couleurs chaudes emplies d’un grain palpable, mettant en valeur chaque façade, chaque néon, chaque rue. Hélas, si le début fut prometteur, avec le portrait réussi d’un anti-héros charismatique (l’excellent acteur Max Records), Billy O’Brien peine à nous accrocher tout au long de cette enquête qui s’essouffle et s’évapore maladroitement dans un final décevant, dénué de toute tension.
A l’inverse, The autopsy of Jane Doe plonge davantage dans l’horreur pure, rappelant le meilleur de James Wan (Conjuring, Insidious), en accordant une grande place aux interactions entre ses personnages ainsi qu’au cadre et à son atmosphère pesante. Autre singularité réussie, le découpage du film suivant les différentes étapes d’une autopsie permettant une montée crescendo de l’angoisse, toujours plus en profondeur, jusqu’à une contamination des morgues. L’esprit scientifique n’enlève pourtant rien à l’horreur irrationnelle que nous ressentons au fur et à mesure, et qui nous emprisonne dans ce huis-clos haletant. Bien que le film s’empêtre dans une dernière demi-heure bavarde et explicative faisant écho à quelques traditions ésotériques, le résultat n’en n’est pas moins satisfaisant, offrant un regard original et renouvelé sur ce genre d’œuvre. Et en bonus : quelques frissons sur nos bras.
The autopsy of Jane Doe – Note:
I’m not a serial killer – Note:
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