Le problème avec le label Grindhouse est que dans le sillage du diptyque rodrigo-tarantinien, il a suscité toute une série de films s’en réclamant de l’esprit mais échouant à en convoquer la nature intrinsèquement bricolée, rigolarde et authentiquement fauchée. Beaucoup d’opportunisme donc, et du cynisme qui justifient en outre toutes les lacunes par un principe qui voudrait que comme c’est pour déconner, tout est autorisé, surtout le pire. « Machete » est l’exemple le plus parfait de ce grindhouse-like qui se moque de son public sur l’autel de la paresse satisfaite, de la complaisance grossière. Un contresens ne serait-ce que dans l’économie de moyens, qu’on essaie de faire avaler au spectateur avec une distribution de has been sur le retour, de scratchs de pellicule et de jump-cuts censés reproduire l’aspect fauché du cinéma d’exploitation, de clins d’œil lourdingues pour se mettre le fanboy de base dans la poche. On se méfiait donc a priori de ce Hobo with a shotgun, long métrage inspiré d’une fausse bande-annonce qui avait remporté un concours pour être incluse dans l’entracte de « Grindhouse » de Tarantino et Rodriguez. Un projet équivalent à Machete donc, qui oubliait qu’un trailer obéit à ses propres codes et que les plaisanteries les meilleures sont les plus courtes.
Jason Eisener, le metteur en scène de Hobo with a shotgun, ne fait heureusement pas partie de cette engeance de réalisateurs nantis imitant un cinéma du pauvre, son film a l’urgence et l’énergie de la première fois, comme si celui-ci devrait être le dernier. Il procède par effet d’accumulation de gore, de sang, d’humour scabreux, de méchanceté, de provocation, de mauvais goût et oui, de bons sentiments. Le film repose tout entier sur ses excès, la caméra est sans cesse en mouvement et ose des angles impossibles, la bande son est saturée de musique synthétique très 80’s, les éclairages bleus et rouges saturés impriment les rétines, le rythme survolté n’autorise aucun répit au spectateur. La logique est celle de la surenchère systématique. Une tête tranchée fait jaillir un geyser de sang sous lequel une pin up vient se doucher en se dandinant. Vous en voulez encore ? Un clochard accepte de se faire filmer en mangeant du verre pour dix dollars. Vous en voulez encore ? Un bus scolaire est incendié au lance flamme par les méchants de service pour que la faute soit reportée sur les sans abris du coin. Et ainsi de suite… L’absence de censure autorise les trouvailles les plus invraisemblables, c’est inventif, fou, décomplexé et les spectateurs qui consentiront à l’expérience retrouveront sans doute un certain parfum de nostalgie des années 80.
Hobo with a shotgun puise en effet son réseau de références du côté des productions Trauma, les films de vigilante, le cinéma Bis mais aussi trouve une généalogie du côté de chez nous en rappelant le cinéma d’Albert Dupontel, Bernie en particulier bien sûr mais aussi Enfermé dehors. On retrouve ce même goût pour les personnages de marginaux, cette poésie des laissés pour compte, ces influences cartoonesques, cette volonté trash de choquer le bourgeois. S’il fallait remonter aux sources, on pourrait aboutir à Chaplin, puisque le film de Eisener s’inspire du cinéma muet dans la façon dont les acteurs surjouent leurs personnages, avec leurs faciès grimaçant, filmés en grand angle. Mais c’est surtout cette description des mendiants qui renvoie au vagabond de Les lumières de la ville ou de The Kid. Hobo with a shotgun n’exclut donc pas un message social discret, c’était aussi le cas de Street Trash qui se passait dans la rue, Toxic Avenger qui figurait la menace nucléaire, Class 1984 qui alertait sur la violence des bandes, mais Jason Eisener ne s’en sert jamais pour justifier ses excès de violence. Nul besoin de s’abriter derrière ce faux prétexte pour prendre son pied à Hobo with a shotgun, le plaisir est juste assumé et décomplexé.
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