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Il est des mélodies que certains n’aiment pas entendre, qu’ils délaissent volontairement afin d’en privilégier d’autres beaucoup plus admises et répandues. Il est des musiques qu’on préfère éviter, de peur de fragiliser une ambiance ou d’ennuyer. Il est des sonorités que l’on contourne parce qu’elle ne correspondent pas aux codes établis.

La vérité est pourtant simple. Ces chansons que l’on délaisse sont bien souvent celles qui nous renvoient directement à notre vraie nature, à des moments douloureux ou à une introspection. Il est bien difficile d’affronter ses émotions et encore plus en public, notamment lorsque les tendances et le partage portent davantage sur des rythmes frivoles et sur du feel good.

Pourtant n’est-ce pas l’essence même de la musique que de mettre en exergue toute l’émotion qu’elle contient afin de faire ressentir à l’auditeur une sensation si forte qu’il ne peut retenir en son for intérieur. Nous avons tous a minima une chanson qui nous transporte, qu’elle soit chargée de joie, de colère ou encore de tristesse. Ce sont ces chansons qui nous animent, qui nous font ressentir la puissance de la vie, l’intensité de notre histoire.

Trop frontal pour en supporter les messages, on préfère les éviter et rester dans le mainstream ambiant et les routes déjà tracées à l’avance.

Il y a bien des artistes qui passent leur carrière à exposer leurs émotions dans un état plus ou moins brut. Des artistes que tous s’accordent à dire qu’ils sont formidables mais qui pour beaucoup d’entre eux restent dans une lumière beaucoup trop opaque, dans une reconnaissance bien en-deçà des éloges qui leur sont faites.

Shannon Wright, dont nous avons croisé le chemin il y a quelques jours à Toulouse fait partie de ces artistes, bruts de décoffrage, dont la carrière déjà longue d’une vingtaine d’année n’a pas connu de baisse de régime, est salué systématiquement par les critiques et pourtant si peu connue du grand public. Il faut dire que les places aux soleil dans ce registre indie rock assez mélancolique se font rares et sont déjà occupées dans des styles différents par Björk, PJ Harvey et surtout Cat Power.

Mais la vie est ainsi faite et c’est avec un public plutôt restreint que nous avons assisté à un concert puissant et plein d’émotions en tous genres dans la magnifique salle du Metronum à Toulouse. Shannon Wright, jeune femme fluette, à la silhouette reconnaissable entre mille, s’est lancée cette année dans une tournée de présentation de ce qui est déjà son dixième album nommé Division. Celui-ci reste fidèle à la veine de l’artiste toujours très minimaliste, oscillant entre mélodie lente et émotionnelle et passage furieusement engagé et à fleur de peau. C’est toujours la même recette diront certains, et on ne pourra pas vraiment les contredire. Pour autant, l’Américaine parvient à chaque fois à apporter une touche renouvelée et toujours plus juste.

Accompagnée d’un batteur et d’un multi-instrumentiste qui débuteront le concert, Shannon Wright nous apparaît soudain derrière son synthé après avoir été cachée par l’obscurité lors de cette introduction. Elle choisit ainsi d’enchainer trois chansons au piano, instrument largement mis en avant dans son dernier opus. Mais si Division sera bien présent ce soir, nous aurons droit à une setlist qui revisitera l’ensemble de la carrière prolifique de l’Américaine.

Shannon Wright s’engage littéralement au dessus de son synthé mais c’est lorsqu’elle prend sa guitare et debout face à son public qu’elle déploie véritablement toute son énergie. Avec cet instrument, on ressent son besoin de liberté, de mouvement comme pour briser les cloisons invisibles de sa propre vie. Cette passion brûlante, elle la transmet à son public qui fusionne et partage cette émotion. On est comme happé par ces effluves continuelles, on est hypnotisé par cette musique qui nous pousse vers les tréfonds pour mieux nous en sortir dans un vacarme mélodique.

Cachée derrière ses cheveux longs et épais, on entrevoit par moment ses lèvres mais rien de plus. Shannon Wright se livre, mais comme bien d’autres, reste cachée derrière ce voile rassurant. Mais ce dernier ne l’empêche en rien de nous toucher de par son incroyable voix. Elle exprime aussi bien une fragilité qu’une force, une tristesse qu’une colère. On est frappé par ce timbre de voix si maitrisé et pourtant toujours si proche de la faute.

Avec une mise en scène très simple, jouant sur une palette de couleur limitée au blanc et au jaunâtre passant par ses ampoules dissimulés un peu partout sur scène, l’idée principale est d’aller droit au but. Le piano d’abord, nous accompagne donc sur les titres phares que peuvent être Defy This Love joué très tôt dans le set et qui a posé les jalons du concert avec Hinterland, chanson très forte, mais aussi avec son nouveau single The Thirst qui nous apparait si évident qu’on a l’impression de l’avoir toujours connu.

Côté guitare, on se réjouira de retrouver la puissance de Portray qui va si bien avec le folie contenue de The Caustic Light et avec l’urgence de With Closed Eyes. Shannon Wright s’en donne à cœur joie, va et vient à travers la scène, et frappe ses cordes sans jamais s’arrêter et avec ferveur. La classique Less Than A Moment sera bien entendue de la partie, ce qui ne sera pas le cas de You’ll Be The Death qui nous aurions beaucoup aimé entendre.

Fort d’un set de plus d’une heure, et chaleureusement applaudie par le public, l’Américaine, qui s’est tout de même beaucoup donnée, revient ensuite seule sur scène pour interpréter encore trois chansons. Elle finira comme elle a commencé, sur son piano, par la magnifique chanson Avalanche, véritable bombe d’émotion démultipliée par la présence scénique d’une Shannon Wright très en forme.

Dévoilant un peu son visage en cette fin de concert, la jeune femme repart dans les coulisses le devoir accompli et le public même restreint ne peut qu’être combler par ce qu’il vient de se produire.

C’était un très joli moment. Fort dans son sens le plus fragile que l’on connaisse, un moment que l’on aimera garder pour soi. Qui ne rencontrera donc vraisemblablement jamais la lumière des hits et du partage à outrance. C’est peut-être là son essence et l’explication la plus probable de la discrétion et la rareté d’artistes de l’envergure de Shannon Wright. Qu’il en soit ainsi.

Note: ★★★★½

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