Ce qui a interpellé tout d’abord lors de la sortie de l’album d’Agnes Obel l’hiver dernier, c’est sa pochette. Une photo comme intemporelle de la chanteuse, les cheveux blonds tirés en arrière, une robe rayée d’un autre âge, un fond austère, le regard sévère fixé sur l’objectif. Une ressemblance avec Liv Ullmann (ses origines danoises autorisent la comparaison avec cette actrice d’Europe du Nord) et Tippi Hedren, entre Bergman et Hitchcock, Persona et Les Oiseaux. Pas définitivement hostile, mais pas très accueillante non plus, une beauté froide et intrigante, pour le moins.
Pourtant, lorsqu’on glisse le disque – bardé des quatre clés de Télérama, un gage de qualité ! – dans le lecteur, l’impression est toute autre. Les chansons sont minimalistes, portées pour l’essentiel par un piano et la voix, semblant contredire le titre de l’album, « Philarmonics » qui suggérait des arrangements orchestraux plus amples et généreux. Un malentendu, le terme de philharmonie désignant généralement des ensembles symphoniques est à prendre ici dans son acception première : l’amour de la musique. Et ce sentiment qu’Agnes Obel manifeste pour son art se traduit par des morceaux d’une beauté toute simple, intimiste, la voix est sublime, les mélodies entre la comptine d’enfant et la balade folk, qui procurent une douce sensation de bien-être, de plénitude.
On craignait cependant que ces chansons ne passent pas l’hiver. La saison leur convenait bien, on imagine Agnes Obel jouant dans un intérieur cosy, au piano tandis qu’il neige dehors, à l’abri du temps, et des intempéries. Mais l’hiver a passé, et on écoute toujours « Philarmonics » sans se lasser, l’émotion initiale est toujours intacte. Il ne restait plus qu’à confronter ces titres à l’épreuve du live, vérifier si les arrangements si subtils obtenus en studio parvenaient à préserver leur équilibre fragile dans une salle, avec un public. Le Bikini est un écrin qui sied parfaitement à Agnes Obel et son groupe, une harpiste et une violoncelliste. « Le bikini is already my favorite venue » affirme la chanteuse. On voit mal comment la contredire, tant la qualité d’accueil et d’écoute de l’équipement toulousain, reconstruit sur les bords de canal suite à l’explosion de l’usine AZF , ne trouve aucune concurrence, même sur le plan national. Le son est cristallin, la capacité parfaite et quel bonheur de boire un verre sans se faire jeter comme un malpropre au bord de la piscine après le spectacle et d’y croiser les artistes, de pouvoir discuter avec eux de façon conviviale ! Fin du satisfecit toulousain.
Ce soir, un piano est installé sur la scène, imposant le respect au spectateur de part son volume et sa masse, la noblesse du matériau, l’élégance des formes. C’est beau, un piano, Agnes Obel ne peut certainement pas le transporter dans chacune des salles qu’elle visite, on se réjouit d’entrée qu’elle ne jouera pas aujourd’hui sur un clavier Yamaha. Quand elle entre sur scène, le profil qu’elle nous offre, ses cheveux noués en un chignon approximatif, sa robe de grand-mère, son visage anguleux et le teint pâle imposent une nouvelle comparaison physique : Agnes Obel est un sosie de Nathalie Kosciusko Morizet. Mais comme on dit : comparaison n’est pas raison. La chanteuse déjoue d’emblée les pronostics d’austérité et de froideur qu’on lui associait a priori en se montrant très loquace entre chaque morceau. Elle discute avec le public, avec beaucoup d’humour, rit, dit son plaisir manifeste d’être là et si bien accueillie par un public attentif et enthousiaste. Le trio restitue fidèlement la dentelle du disque, la balance est parfaite entre chaque instrument, chacun occupe un espace intelligible mais l’ensemble fait aussi gronder le tonnerre ponctuellement, dans des envolées insoupçonnées, sur Sons and Daughters, b side qui n’aurait pas démérité sur l’album ou à la fin de On powdered ground qui clôt le set principal. Au bout d’une heure vingt, après avoir interprété l’intégralité du disque et joué une fausse sur un instrumental en rappel, Agnes Obel s’étonne qu’il est presque temps de se quitter, elle croirait n’avoir joué que deux titres. Nous non plus, nous n’avons pas vu le temps passer : la musique d’Agnes Obel a cette capacité si particulière de suspendre le temps, de nous transporter en un lieu paisible et chaleureux où l’on aimerait nous y réfugier encore, en toutes saisons.
Note: